2 madeleines concoctées par notre voisine Shajan
2 madeleines concoctées par notre voisine Shajan
— Confinement Saison 1 —
1. Le vieil homme qui promenait son chien avec des gants Mapa verts 2. Cueillir des pâquerettes et fermer boutique 3. Confiné et caféiné 4. Les yeux bleus du gros cochon à la craie 5. Les madeleines de Shajan 6. Bas les masques ! 7. Champagne sur paillasson 8. Véritables préludes flasques pour un chien 9. Fiction, la vraie vie ou le dragon culturiste 10. Ouvrez, ouvrez la cage aux oiseaux 11. Petite échappée dérogatoire 12. Avanie et Framboise 13. La cour de ré craie 14. Tendresses radicales 15. Allumer la plante ! 16. La Ballade des Gens heureux 17. Ton thé t’a-t-il ôté ta toux, Tonton ? 18. L’autruche est en RTT 19. Masque Singer 20. Bon pour 1 jour complet de légèreté non remboursable 21. Ce sont les petits riens qui font toujours du bien 22. Pour le meilleur et le sou(pire) 23. La vie (confinée) en rose 24. Un peu d’R 25. Navets, cannelés et polenta ! 26. Kiki et les Tic Tac

— Confinement Saison 2 —
1. La soupape et les patates saoules 2. Santé ? 3. C’est la Foir’Fouille ! 4. Aubergine interdite 5. Au secours, vous êtes laide 6. E-paumée l’ipomée 7. Bon pour 1 jour de légèreté bis 8. J’ai corrigé le JDD 9. Exit Donald Trump ! 10. Le coup de langue du pangolin 11. 2030 12. Chris Pratt a joué pour 20 points 13. Échec et Pratt 14. Après-midi en absurdie 15. La dinde illuminée 16. Timbrée 17. Viens, on va voir la mer 18. Les envahisseurs 19. La vieille dame et son masque Da Vinci 20. Blablalab 21. Ceci n’est pas une critique littéraire




Le vieil homme qui promenait son chien avec des gants Mapa verts

J’avais délaissé ce blog pour pleins de bonnes et de mauvaises raisons. Je n’aurai désormais plus l’excuse du manque de temps ni de matière à écrire. La situation inédite que nous connaissons actuellement devrait me fournir à la fois le temps et la matière. Chacun sa façon d’alimenter un blog. Cela va du journal de bord aux tutoriels, du journal intime aux chroniques littéraires. On peut partager, échanger, interroger. Les blogs qu’on disait moribonds devraient refleurir. Et j’en suis le premier ravi. À charge pour chacun de séparer le bon grain de l’ivraie, les nouvelles des fake news, les bienfaiteurs des fossoyeurs, les goûts et les couleurs.

Journal de bord. J1 avant confinement.

Scène en bas de chez nous. La pharmacienne montre l’exemple.

— Bonjour Messieurs Dames, pour des raisons de sécurité, ce sera une seule personne dans la pharmacie à la fois. Je ne touche pas vos cartes vitales ni vos cartes de mutuelles, vous les présentez simplement en les tenant. C’est pour notre sécurité à toutes et à tous et vous respectez 2 mètres de distance entre chaque personne. Tout devrait bien se passer, merci.

On annonce le confinement pour bientôt. Pour le moment, c’est pour moi un jour de repos presque comme un autre. L’hôtel où j’échange du temps et des sourires contre de l’argent fait encore partie des établissements dont l’ouverture est autorisée. Ma moitié est assignée à résidence pour cause de panne informatique majeure pour laquelle il n’est pas encore réquisitionné.

Sortie prudente jusqu’au pressing à Cinq Avenues, les deux employées munies de gants et de masques nous remettent le colis déposé chez elles. Elles affichent une mine inquiète ; ça n’est que le début de leur journée. Nous croisons un vieil homme qui promène son chien avec des gants Mapa verts.

De retour à la maison, je mets mentalement à jour une liste de choses à faire :
→ Écrire quotidiennement (c’est chose faite avec ce premier billet de blog).
→ Compenser la suppression de l’exercice physique (les déplacements vers et depuis le lieu de travail et les 8 000 pas que nous faisons en moyenne par jour) par des séances de Ring Fit (de la gym via une console de jeux, pour la faire simple).
→ Créer une liste Whatsapp famille pour renouer un lien distendu.
→ Conjurer ma phobie du téléphone et appeler les proches. Régulièrement.

J’absorbe le soleil sur le balcon et je contemple la ville qui se confine ou pas, qui angoisse ou pas contre un ennemi invisible qui chamboule tout. En bas, le jardin de la résidence voisine est en friche, les bancs n’ont pas connu d’humains assis sur leurs planches en bois décrépit depuis belle lurette. En presque trois ans que nous habitons ici, je n’ai pas vu une seule âme assise sur ces bancs. Ce matin c’est un papa et ses deux gamins qui s’y sont posés. Ils ne sont occupés ni à jouer au ballon ni à enfourcher les vélos qui mordent la poussière un peu plus loin. Le papa tient ses petits serrés contre lui. Il se penche et dépose un baiser sur la tête de chacun de ses garçons de 3 et 5 ans, j’imagine.

C’est l’instant de chaleur humaine que je souhaite partager aujourd’hui avec vous.


—–
Cueillir des pâquerettes et fermer boutique

Prenez soin de vous !

Les pensées et les émotions se bousculent. Je veux les trier, les décortiquer. Mais pas les occulter. Chaque jour suffit sa peine et son lot d’inquiétudes. Écrire que je ne suis pas inquiet serait mentir. Inquiet mais à peu près serein pour mes proches que je sais confinés. Ma mère à la campagne ne reçoit aucune visite. Elle me dit : ne te fais pas de soucis, j’ai mon jardin, j’ai l’oie, mes poules, j’ai de quoi faire dans cette immense maison. Ma sœur occupe ses filles d’une main de maîtresse, agile, bienveillante, pédagogue. Toute la petite famille déguste les navettes marseillaises qu’a préparées Lucie, 13 ans, suite à la recette que j’ai partagée avec elle (recette de JustInCooking). Je mesure la chance qu’elles ont d’avoir de la compagnie, et de la bonne compagnie, quand on pense à toutes les personnes isolées et fragiles, orphelines ou mal accompagnées. Je suis avec émotion les actions spontanées qu’envisagent les bonnes âmes ici et là, partout : proposer de faire des courses et les déposer sur le palier des voisins très âgés et diminués. L’humain d’abord !

D’un point de vue personnel et pragmatique, il faut que j’écrive à la main une première attestation sur l’honneur transmise par les autorités, par SMS, dans la nuit. Au boulot, j’en imprimerai un bon peu. L’hôtel ne figure plus dans les établissements habilités à ouvrir, mais il faut fermer boutique. Peut-être sera-t-il réquisitionné dans les prochaines semaines pour héberger personnel soignant ou malades. S’y préparer. Aider dans les démarches urgentes, répondre aux mails, au téléphone, procéder aux remboursements, faire les sauvegardes informatiques utiles, organiser le suivi à domicile par mon directeur, dire au revoir aux derniers clients, fermer les volets.

Achevant le tour du pâté d’immeubles pour aérer la petite (et lui permettre, peuchère, qu’elle soulage ses besoins), je constate que les pelouses de la résidence ont été fraîchement tondues et me réjouis à l’idée d’avoir cueilli une brassée de pâquerettes hier.

Pas tranquille, comme on dit par ici, je parle à la petite :
— Kimberley, tu te rends compte que j’ai rempli un formulaire pour t’autoriser à faire caca ?


—–
Confiné et caféiné

Confiné et caféiné. 

Je poursuis l’écriture quotidienne de ce journal de bord. Le périmètre géographique et physique que j’observe se cantonne à un petit kilomètre carré, « dans le cadre de l’accompagnement des besoins naturels du chien » pour citer le Ministre de l’Intérieur. Une sortie le matin. Ma moitié se charge de la sortie le soir.

Il est huit heures trente. La petite Kimberley a fait ce qu’il fallait, elle me ramène en bas de l’immeuble où les clients stoïques font la file devant la pharmacie. Je croise Shajan, notre voisine du 8e. Nous respectons le mètre de distanciation sociale —au fil de la plume, je m’aperçois de la couleur dystopique qu’adoptent bon an mal an nos vies.

— Comment vous remercier pour les attestations ? me demande Shajan.
— Oh, ce n’est rien. Un sourire suffira.

J’étais à l’hôtel hier pour aider mon directeur à fermer boutique, répondre aux mails, faire chauffer le terminal de paiement – avec mes gants – pour les remboursements de toutes les réservations non-annulables déjà encaissées, faire les sauvegardes nécessaires, voir la collègue qui, gantée elle aussi, se gratte l’oeil, et soupirer. Imprimer les fameuses attestations de déplacement dérogatoire. Pour Joëlle et Julia, nos voisines et amies de palier. Pour ma moitié désormais en télétravail, pour Shajan, qui a un jour eu la bonne idée de toquer à notre porte pour nous offrir des pâtisseries maison, alors que nous ne la connaissions ni d’Ève ni d’Adam.

— Vous aimez les cannelés ? me demande-t-elle. J’opine du chef. Elle me répond, un sourire aux coins des yeux :
— Je vous ferai des cannelés. Je les poserai sur votre palier.


—–
Les yeux bleus du gros cochon à la craie

Journal de bord confiné, J4.

J’ai en poche l’attestation de déplacement dérogatoire datée et signée sur laquelle j’ai coché la case « achats de première nécessité », j’actionne avec le coude le bouton de l’ascenseur, avec la clé le bouton de la porte, je me contorsionne pour tirer avec le pied la porte de l’immeuble et me retrouve à l’air libre. Une coccinelle s’est posée sur le rabattant en toile cirée rouge du caddie qui arbore des fruits stressés qui crient « Poussez pas ! Vous êtes pressés ou quoi ? » L’insecte à pois, le pigeon qui trottine plus loin, les andouilles qui se moquent des consignes officielles, n’ont pas conscience du danger invisible qui bouleverse le monde.

Je traîne dans mon sillage le caddie à roulettes et croise peu de passants. Les grilles du Parc Longchamp sont closes. Le médecin généraliste d’à côté a condamné sa salle d’attente : « il est demandé aux patients de ne pas stationner dans le hall de l’immeuble mais à l’extérieur, sur le trottoir à l’air libre. » Il précise qu’il ne dispose pas de masques pour ses patients. Au supermarché, les clients se toisent, se contournent et sursautent quand une toux sèche se fait entendre. À la caisse, une plaque transparente en plexiglas sépare l’employée du client qui peut postillonner à loisir.

De retour à la maison, je m’efforce de contenir les aboiements de la chienne, en vain. Sa joie de vivre inonde la visioconférence que tient mon homme en télétravail avec ses collègues. Je m’éclipse et range en silence les achats de première nécessité ou presque : des chips, des cacahuètes et des bières pour l’apéro de ce soir. Un apéro via webcam entre amis éparpillés, chacun chez soi, à Marseille, à Arcachon, à Biscarosse, pour conjurer nos solitudes, nos inquiétudes, pour lever un verre à l’amitié, penser aux personnels soignants, à tous ceux qui sont en première ligne, aux proches orphelins, aux morts sans cérémonie.

Dans la cour de l’immeuble, une fillette, casquette vissée sur la tête, joue à la corde à sauter. Son petit frère finit de dessiner à la craie une énorme tête de cochon qu’éclairent deux yeux bleus ronds comme des billes.


—–
Les madeleines de Shajan

Je n’ai jamais mangé d’aussi bonnes madeleines !

SMS de Shajan, notre voisine du 8e qui nous avait si gentiment promis des cannelés (billet) :
Bonjour, vous avez des madeleines bien chaudes derrière la porte.

Dans un sachet, des madeleines et un mot manuscrit (que je publie avec son accord) :
Bonjour à vous,
Nous sommes le 20 mars et nous fêtons le Nouvel an persan. Donc commençons la journée avec quelques madeleines qui viennent tout juste de sortir du four et vous attendent derrière la porte.
Bonne année et bisous à vous deux. Câlin aussi à la petite demoiselle Kimberley.
Nous sommes en 1399, pour info.
Shajan

P.S. la boîte est restée ouverte pour garder le côté croquant.

Une peu plus tard dans la journée, la sonnette de l’entrée retentit. Kimberley joue son rôle d’alarme sur pattes et s’égosille. Shajan se tient à distance, elle nous tend une assiette de cannelés puis regagne son logis. Je l’appelle pour la remercier, lui demander la recette. On tisse pudiquement un lien, on papote.

Je n’ai jamais mangé d’aussi bons cannelés !


—–
Bas les masques !


Chaque sortie possible est pour moi source d’étonnement. Armé de ma liste de courses manuscrite au dos de mon attestation de déplacement dérogatoire dûment datée et signée, je fais la file devant la supérette du quartier. Les gens se tiennent à distance et se parlent. De la pluie, du beau temps, de leurs inquiétudes surtout. Une dame devant moi me dit qu’elle n’a pas pris l’air depuis une semaine, qu’habituellement elle marche beaucoup, qu’elle n’aime pas le quartier, qu’elle est descendue acheter de la farine et des œufs. Je n’ai heureusement pas le temps d’écouter les salades complotistes que débite le gars derrière moi car c’est mon tour d’entrer dans la supérette.

Face au tapis de caisse où j’étale mes achats, les messages défilent sur un écran d’environ 1 mètre sur 50 centimètres. Ce ne sont pas les promotions en cours, non. Mais les consignes officielles. En majuscules rouges sur fond blanc : MERCI DE RESPECTER 1 MÈTRE DE DISTANCE DE SÉCURITÉ SANITAIRE AVEC NOTRE PERSONNEL.

Derrière un écran de plexiglas, Lilith répond au client qui lui demande comment ça va : — Ça va. I’m still standing. C’est une chanson d’Elton John, précise-t-elle.
À mon tour d’échanger avec elle :
— Ils vous ont donné des masques, c’est bien.
— C’est un client qui nous les a donnés.

Va savoir où ce quidam les a trouvés. Peut-être chez la pharmacienne du quartier de Noailles qui les revendait sous le manteau à l’unité.


—–
Champagne sur paillasson

Champagne sur paillasson

C’est une escapade que nous avions planifiée de longue date. Voiture louée, budget calculé et partagé, maison de campagne à une petite heure à l’ouest de Valence où Joëlle notre voisine de palier et néanmoins amie avait convié famille et amis pour un week-end de réjouissances. Bien entendu, la crise actuelle a chamboulé nos projets et nous avons tout annulé. Tout annulé sauf l’idée de lui souhaiter un joyeux anniversaire. L’an dernier, nous lui avions remis un paquet cadeau qui contenait des barres chocolatées, vingt-et-un Mars le vingt-et-un mars. Cette année, hier, ce furent des bulles de champagne, une carte et deux ballons, déposés sur son palier.

À l’heure conspirée par Julia, sa fille, mon homme et moi, nous déclenchons la surprise par visioconférence. Chacun chez soi, sur deux canapés que séparent une pièce, notre cuisine, un mur mitoyen, puis leur cuisine, nous levons nos verres à l’anniversée, toute joie sur l’écran de notre tablette, dans notre salon. Nous trinquons à l’amitié, à la vie que nous espérons vite débarrassée de cette saloperie de Covid-19, nous échangeons à propos des petits riens qui animent nos quotidiens confinés, nous nous enquérons des proches éloignés, du télétravail des uns et des autres, des études que Julia poursuit à distance. Nous partageons deux petites heures douces et chaudes comme un feu de cheminée dans la maison de campagne où nous n’avons pas été.


—–
Véritables préludes flasques pour un chien

Une coccinelle en peluche s’est égarée sur le perron de l’immeuble

La coccinelle en peluche qui s’est égarée sur le perron de l’immeuble n’a rien à voir avec ce qui suit. Enfin, un peu quand même. Car elle a croisé mon chemin tout à l’heure, à la faveur de la courte promenade matinale de la petite Kimberley.

Troisième café de la journée. Dans la pièce qui fait office de bureau ou de chambre d’amis, j’écoute les Avant-dernières Pensées, œuvre pour piano d’Erik Satie en trois mouvements. J’ai pour me tenir compagnie, en vrac, le roman d’Adeline Dieudonné que je dévore, un cahier que je noircis de brouillons, des photos de famille, un flacon de gel hydro-alcoolique, une crème pour les mains, mon homme qui télé-travaille dans le salon, un papillon jaune qui danse sur l’enveloppe remise par Shajan avant-hier. J’ai aussi, en ces temps agités, des questions sans réponses qui jouent aux auto-tamponneuses dans ma tête. Je les balaie d’un revers de main. La radio joue les 52 secondes des « Véritables Préludes flasques (pour un chien) : on joue ». Comme un fait exprès, la petite Kimberley pousse la porte, elle s’ennuie, elle veut jouer.

On n’a pas d’enfant à la maison mais c’est tout comme.

— Tu veux jouer ?
— … (couplet canin exprimant la joie)
— Va chercher Vavache !

Elle galope jusqu’au coffre d’où jaillissent autant de jouets que de semaines dans l’année et s’empare de Vavache. Course poursuite autour de la table basse. Je lui subtilise la peluche et la jette à l’autre bout de l’appartement, elle l’attrape à la volée et trottine jusqu’à moi pour que je ferraille avec elle, la lui arrache, la fasse de nouveau valser.

Elle ignore tout des modalités du télétravail ou du chômage de ses maîtres. Ce qu’elle sait, en revanche, c’est qu’elle nous a à demeure, vingt-quatre heures sur vingt-quatre.


* Erik Satie a composé un morceau qui est étonnamment de circonstance : Véritables Préludes flasques pour un chien : Seul à la maison. Seul à la maison 🙂


—–
Fiction, la vraie vie ou le dragon culturiste



Et hop une petite liste à ma façon de choses faites, lues, vues ou entendues.

– Commencé à écrire à la main les attestations de déplacement dérogatoire qui vont servir à soulager les besoins de la petite Kimberley. 382 mots (sans compter les nom, prénom, adresse, ville, date, heure, signature) pour chaque sortie que multiplie, par exemple, 2 (besoins du matin et du soir), par 7 par 4 semaines restantes de confinement estimé = 21 392 mots. On me chuchote dans l’oreillette qu’il me suffit de recopier uniquement les raisons utiles. Ouf.

– Partagé les âneries du jour via Telegram, Whatsapp, Twitter.

– Contemplé l’arbre de Judée qui offre aux habitants du pâté d’immeubles l’avoisinant un feu d’artifice rose pourpre vif.

– Fini la lecture de La Vraie Vie d’Adeline Dieudonné, aux éditions L’Iconoclaste. Roman initiatique que je ne suis pas près d’oublier, tant par la terrible histoire qu’il raconte que par la plume acide, drôle, percutante. Fiction. Et je songe à la réalité de toutes ces femmes et ces enfants mal accompagnés, pour qui le confinement est synonyme de peur au ventre, de violences.

– Pratiqué de la poterie en enchaînant des squats (un des nombreux exercices de fitness que propose Ring Fit Adventure de Nintendo).

– Combattu un dragon culturiste, pulvérisé des caisses au canon à air.

– Lu et partagé le billet frappé au coin du bon sens de Zette sur le télétravail.

– Inspiré un peu Élodie dans son billet Confinement, épisode 6, la colère.

– Me suis étonné de l’emploi de « exode rural » par le Secrétaire d’État chargé aux transports à propos des gens qui ont quitté la ville pour se mettre au vert. Une âme charitable peut expliquer à Jean-Baptiste Djebarri qu’exode rural signifie l’inverse ?

– Découvert le mot grelinette. L’Outil, inventé par André Grelin, permet à ma mère de soulever la terre sans effort. Le motoculteur reste pour le moment confiné dans l’abri de jardin.

– Papoté (de loin) avec Joëlle et Joseph, mes épiciers préférés.

– Appris le prénom des caissières de la supérette en bas de l’immeuble : Lilith, Gisèle, Fetta.


—–
Ouvrez, ouvrez la cage aux oiseaux1



Comme le tournesol qui suit, imperturbable, la course du soleil, je me poste côté jardin le matin puis côté rue l’après-midi. Il est dix heures et j’observe, depuis l’ombre, le soleil qui baigne les baies vitrées de l’immeuble en face. 1, 2, 3, 4e étage, une dame sirote son café, elle alterne entre les touches de son clavier d’ordinateur et la cigarette qui patiente sur une soucoupe. Un grillage tendu de gauche à droite et de haut en bas empêche les pigeons d’aller souiller son balcon. C’est du moins, j’imagine, la raison d’être du grillage. Une perruche passe devant elle et ricane. Qui de la dame ou de l’oiseau est en cage pour une fois ?

C’est côté rue que je jauge la file d’attente à la supérette d’en bas, que je contemple le bout de mer qu’il m’est donné de voir, l’Estaque, les viaducs que je devine, un bateau de croisière à quai, en carafe.

À droite de la dame confinée derrière les mailles de son grillage, l’appartement mitoyen a cloisonné son balcon de baies vitrées, une jeune femme y fait un brin de ménage, point de rideau pour cacher sa tenue, un t-shirt ample, une culotte fuschia. À droite encore, le monsieur en robe de chambre chocolat porte à son tour ses lèvres à son café. Ses étendoirs sont vides de linge, pas une plante pas une fantaisie. Il a peut-être réservé sa main verte à la façade côté mer qui m’est cachée, qui sait. Au-dessus de lui, une dame blonde au pull rouge à pois blancs se démanche le cou pour distinguer l’hélicoptère qui vrombit au loin.

Les absents au balcon dorment encore, télé-travaillent, étudient à distance ou s’emploient là où ils doivent, là où ils peuvent.

De mon côté, rue ou jardin, je lis, j’écris, je réfléchis, je joue avec Louise, 9 ans, qui me propose à l’instant et à 600 kilomètres de distance à vol d’oiseau une partie de bataille navale. Touché, coulé.


1Note : Le titre fait référence à la chanson de Pierre Perret (lien)


—–
Petite échappée dérogatoire

Le Palais Longchamp, au ras des pissenlits, derrière les grilles. Marseille à 14h18
Je soussigné : Laurent des fraises et de la tendresse
Né le : 22 mai
À : Bergerac (24)
Demeurant à : Marseille
Certifie que mon déplacement est lié au motif suivant (un chouia modifié), autorisé par l’article 3 du décret du 23 mars 2020 prescrivant les mesures générales dérisoires pour faire face à l’épidémie de Covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire et du confinement bricolé à la petite semaine :

[x] Déplacement avoisinant une vingtaine de minutes, conjuguant courses alimentaires et détour par le Palais Longchamp à 450 mètres du domicile pour me ravitailler de belles choses, d’architecture et de fleurs de pissenlits.

Je déclare sur l’honneur m’être tenu à bonne distance du chihuahua promenant son maître le long du parc Chien Saucisse ainsi que de l’homme dévalant sur sa planche à roulettes le boulevard Montricher.

Fait à : Marseille, le vendredi 27 mars 2020 à 14h30
Laurent des fraises et de la tendresse


Merci Élodie pour l’inspiration.


—–
Avanie et Framboise


Les parents télé-travaillent. Leurs filles, Alice, Lucie et Louise télé-apprennent. Pour ma part, je télé-joue. À touché-coulé jeudi avec Louise. Au baccalauréat avec Louise et Lucie, vendredi. Je dirige au hasard la pointe de mes ciseaux (pas l’ustensile le plus adéquat mais celui qui est à portée de main) sur des lettres dans mon Petit Robert et j’énonce A de Avanie et F de Framboise* pour ne pas confondre avec le « S de Sophie » et déclenche les rires de mes nièces qui trouvent à chacune des lettres de l’alphabet dictée l’exemple qu’elles écrivent scrupuleusement dans la colonne des prénoms, des fruits ou des légumes. Et sans rapport avec la choucroute, je récolte 10 centimes à chaque fois que j’entends le tic de langage « du coup ». C’est le début de la fortune.


* Chanson de Boby Lapointe : Avanie et Framboise.


—–
La cour de ré craie



Je ne me lasse pas d’observer mes voisins confinés côté rue. Ou côté jardin. À main gauche, l’immeuble mitoyen qui a vue sur l’espace vert en jachère où se disputent trois bancs esseulés. Au quatrième étage, une dame brune, élancée, qui s’époumone sur son petit balcon. Sur une table en teck à sa droite trônent de jolies primevères rouge sombre ainsi qu’un aérosol dégrippant. Le rameur sur lequel elle s’escrime ne couine plus. Les bras de son appareil vont et viennent. La sportive du dimanche scrute le jardin à ses pieds, le paysage ne défile pas. Dans son dos, sur l’étendoir blanc, trois masques chirurgicaux font une pause au soleil.

Les cloches de l’église des Chartreux sonnent 11 heures.

Un enchevêtrement d’immeubles aveuglés par le soleil. En arrière des Calanques, le Massif de Saint-Cyr qui borde Marseille, ouaté de pollution mêlée de remontées maritimes. Oiseau métallique de mauvais augure, un hélicoptère jaune se pose sur l’Hôpital de la Timone.

Les pies sautillent sur le gravier du toit de la bâtisse en face.

Sous les pins parasol, en bas, une fillette, poupée sous le bras, grimpe la murette qui sépare la promenade bétonnée des pelouses habituellement interdites. Ni elle ni sa maman ne savent qu’elle tutoie de ses pieds le carré d’herbe où la mouette dépeçait hier un pigeon malade. Telle une funambule, sa sœur aînée chemine à pas comptés le long du trait à la craie bleu que d’autres enfants ont tracé. Tout au bout du trait bleu, on a dessiné un citron, une orange, une pastèque, un cœur.

C’est un dimanche matin pas tout à fait comme les autres.


—–
Tendresses radicales

dans ma rue…

On n’a décidément pas le cul sorti des ronces, me dis-je en croisant deux gars qui se saluent en entrechoquant leurs poings. Les sujets prompts à désespérer du genre humain ne manquent pas. Qu’on lise ici ou là à propos de la pandémie de bêtise ou de criminalité —qu’elle soit le fait de cornichons vendant sur internet des respirateurs volés à la collectivité ou de cols blancs profitant de la misère ou encore de communicants irresponsables (coucou Sibeth), je me pique* aux maigres bonnes nouvelles, je me confine dans la simplicité des petites choses. Je plonge dans la contemplation des bourgeons et des gourmands que produit le lilas rapporté du jardin de mes parents en Charente et qui n’a, depuis trois ans, toujours pas fleuri. En indécrottable optimiste, je garde espoir. Comme je nourris l’espoir de l’éclosion de ces tendresses radicales que j’ai photographiées ce matin dans la limite du kilomètre autorisé.


* Écoutons Le tango stupéfiant par Marie Dubas

—–

Allumer la plante !


Mon humeur confinée n’a pas grand chose à écrire aujourd’hui mais je tiens peu ou prou le rythme que je me suis imposé. Comme certains s’efforcent de maintenir une routine quotidienne, je fais ma gymnastique ordinaire, je conjugue des idées, des choses vues, lues ou entendues. Je réfléchis aussi au jeu* que je vais proposer à mes nièces demain par le truchement des caméras de nos tablettes respectives. Je mesure d’ailleurs la chance que nous avons d’avoir la fibre quand tant de gens sont soit en zones blanches soit carrément coupés d’internet.

Transition toute trouvée pour mon court billet du jour.

J’ai épousé un informaticien. D’une patience d’ange, il cherche, il farfouille, il compare, il dépanne (c’est son métier). Démonter un ordinateur ne l’effraie pas. Il y cherche l’ivresse des sommets et se grise de trouver l’astuce qui fera croire à Windows que blanc c’est bleu ou que Mac c’est PC. Joueur, il a programmé des commandes vocales pour allumer lumières et appareils. Des guirlandes de leds derrière le canapé, Ambilight par ici, d’autres loupiotes par là, dans une plante ou autour d’une tringle à rideaux. Ça n’est pas Las Vegas mais c’est Noël tous les jours, et en ces temps confinés, un peu de douceur de vivre ne nuit pas. Et je m’amuse de l’entendre parfois demander : « Ok. Google, allume la plante ».

Enfin, je ne résiste pas à l’envie de vous rappeler le dépannage téléphonique qu’il m’avait raconté :
« Madame, pourriez-vous faire une photo de votre bureau et me l’envoyer ? » Elle lui fait parvenir une photo du bureau (Ikea ou Lenovo) où posent, tout sourire, les deux collègues de la dame.


* Je vais leur demander de livrer face caméra et à l’heure dite 20 objets d’une couleur donnée et 20 autres objets commençant par une lettre dite. Elles s’aideront de leurs téléphones pour photographier les articles qu’elles ne pourront pas déplacer. En un temps chronométré.


—–
La Ballade des Gens heureux

Le promeneur sur le Pont des Arts – Sempé
Confiné et chômeur, je navigue entre banalité confondante et voyages intérieurs, en silence ou avec FIP ou France Musique. J’ouvre Sempé, 100 dessins pour la liberté de la presse paru en juin 2019, j’admire ses dessins de foules ou de solitudes, ses personnages à bicyclette ou cet homme qui promène son chien sur le Pont des Arts. J’aime l’élégance, la mélancolie, l’innocence dans les dessins de Sempé.

Jetant un regard rêveur sur ce promeneur solitaire, mains dans les poches, je me suis souvenu de ce texte écrit un jour de marché, rue Daguerre, à Paris — la ville doit être bien singulière ces temps-ci.



Les ravioles à trottinette sur un air d’orgue de Barbarie À la Maison de la Pâte rue Daguerre, les ravioles enfarinées contemplent la file de clients. La baguette droite comme un i s’est vue grignoter le quignon par un couple endimanché. Dépassant du sac à dos du badaud, la botte de poireaux prend l’air de midi trente. La trottinette verte emporte la fillette aux collants mauves ornés de papillons. Une jeune femme se dandine une banane à la main. Tirant sur sa laisse bleue, le bouledogue français promène son maître. Et les dames à l’orgue de Barbarie chantent La Ballade des Gens heureux*.


* La Ballade des Gens heureux, chanson composée et interprétée par Gérard Lenorman, sur des paroles de Pierre Delanoë (1975)


—–
Ton thé t’a-t-il ôté ta toux, Tonton ?


Le titre n’a rien à voir avec le billet. Quoique. Sans chercher bien loin, je joue dans le titre (comme les chèvres jouent dans le gif) et dans ce qui suit.

Le confinement ne me tape pas encore sur le système. Les bruits de marteau dehors depuis vingt minutes, si. Je ferme donc la fenêtre et me concentre sur le jeu que j’ai proposé à mes nièces Louise et Lucie. Alice, l’aînée, a passé l’âge mais pas moi. Emoji clin d’œil. Attendant l’heure de fin de cours de maths que Lucie suit en visioconférence, je découpe des bouts de papier. J’y inscris des lettres de l’alphabet, des couleurs, ou des durées. 5 minutes, 10, 15, 20, 25, ou 30 pour trouver dans la maison 10 objets de la couleur qui sera tirée au sort et 10 objets commençant par la lettre qui sera désignée. C’est le ticket 5 minutes que le hasard donne aujourd’hui au jeu d’intérieur. D comme Diplodocus et Rouge comme la fraise gariguette. C’est parti mon kiki. J’imagine la course dans la maison à 600 kilomètres à vol d’oiseau. Et les rires d’excitation quand l’une ou l’autre prend en photo l’élément du canapé ou les chaussettes, rouges, ou tout ce qui commençait par la lettre D, déo, douche, dentifrice ou doudou. Et les dents de Louise que je reçois en photo sur Whatsapp. Emoji larmes de rire au coin des yeux.

Et vous ? Vous jouez à quoi ?

Ton thé t’a-t-il ôté ta toux (chanson interprétée par Jean Constantin)


—–
L’autruche est en RTT

Confiné. Je fais l’autruche. 
Le gouvernement nous prépare pour lundi une attestation à télécharger, une procédure qui générera un QR code contenant on ne sait quoi encore comme données personnelles. Et une liberté individuelle rabotée de plus, une. Moi qui ne voulais pas parler politique ici, c’est raté. Tout est politique, et plus encore en ce moment. Tandis que nombre d’andouilles se lavent les mains (métaphoriquement) des consignes essentielles, j’horodate et je signe le papier qui m’autorise à faire le tour du pâté d’immeubles à la petite Kimberley, bientôt 13 ans.

À mesure que j’avance, elle renifle les traces de ses congénères et je hume l’air frais du matin.

J’absorbe le soleil au coin de la rue. Des gens ont accroché des calicots de couleurs où ils ont écrit au marqueur « merci à nos soignants ». D’autres ont fixé à leur balcon une pancarte : « Nous ne reviendrons pas à la normalité car la normalité, c’est le problème ». Une dame que je ne connais pas me fait coucou de la main. La petite me promène jusqu’au bout de l’impasse, une entrée du parc réservée aux personnels des espaces verts.

Je franchis en pensée les grilles qui en empêchent l’accès jusqu’à nouvel ordre. La nature domestiquée ne croise aucun humain depuis presque trois semaines. Les oiseaux pépient et se répondent. Personne pour les déranger, personne pour faire tourner le manège qui trône sans joie à l’entrée. À la buvette à côté, les chaises sont vides, la cahute a baissé son rideau de fer. C’est une extension du Parc Longchamp qui a longtemps abrité un zoo. Des répliques en fibre de verre aux couleurs tape-à-l’œil ont remplacé les animaux sauvages. Derrière les barreaux d’une des ménageries, on a depuis longtemps volé la fausse autruche qui s’y trouvait. Au-dessus, un message sibyllin en majuscules sombres barre le mur de la cage abandonnée : « L’autruche est en RTT, revenez plus tard !»

C’est entendu, je reviens plus tard.


—–
Masque Singer


Un coup c’est blanc, un coup c’est noir, un coup c’est oui, non, faites pas ci, faites pas ça, faites ce que je dis mais pas ce que je fais, oui mais non, et en même temps, la marmotte, elle met le chocolat dans le papier alu.

En bon citoyen, j’accorde parfois un poil de grenouille* de crédit à nos gouvernants sauf Castaner, Blanquer, Darmanin, Le Maire et quelques dizaines d’autres, je me dis qu’en effet les masques faits maison ne sont pas utiles, je me moque gentiment de toutes les petites mains qui s’affairent à coudre à la maison, pour la collectivité. Elles fournissent gratuitement les bonnes âmes en patrons, en tutoriels. Elles ne passent pas leurs journées derrière leurs écrans à chouiner, elles agissent. Alors je me renseigne, je revois ma copie, j’entends d’autres sons de cloches dignes d’être entendus. Urgentistes, soignants, médecins, des gens sérieux expliquent pourquoi ces masques en tissus (avec filtre amovible) ne sont pas inutiles.

Toutes les injonctions contradictoires, les revirements, les « je réévalue notre doctrine » du Ministre de la santé aujourd’hui, les discussions prématurées et irresponsables autour de la fin du confinement, créent défiance et hésitations. Et génèrent à la maison, hier soir, une situation assez lunaire. Où trouver ces masques en rupture partout ? Comment s’équiper lorsqu’il va falloir retourner au travail ? Combien en faut-il ? Et pourquoi pas les coudre nous-mêmes ?

Telles deux poules devant un timbre poste, nous admirons la dextérité d’une couturière face caméra, nous envisageons de reproduire les étapes, les gestes précis. Nous nous égarons dans les tutoriels, nous commentons : « j’aime bien celle-ci, elle a une voix douce », « je peux les coudre à la main, non ? », « elle a l’air bien sa machine » et j’en passe des vertes et des « mais ça va pas bien la tête ? » Comme réveillés d’un mauvais rêve, nous nous ressaisissons, fermons toutes les fenêtres qui nous vantaient des machines à coudre performantes et pas chères et retournons à nos moutons, à notre confinement, à la petite Kimberley qui se voyait déjà dans son joli manteau mi-saison cousu avec mérite par ses deux papas.


* un peu, point trop n’en faut !


—–
Bon pour 1 jour complet de légèreté non remboursable

Je paraphrase Martin Winckler : tout ce que fait Clémentine Mélois me met en joie. 

Aujourd’hui, j’emprunte le Bon pour 1 jour complet de légèreté non remboursable de la plasticienne Clémentine Mélois dont je suis le travail décalé et délicieusement érudit (ses couvertures d’œuvres littéraires à sa façon sont une source inépuisable d’émerveillement et de sourires). Je vous propose donc ce bon pour réflexion et pour illustrer le billet superficiel et léger qui suit.

Comme presque 7 millions de salariés, je perçois 85% de mon salaire pour rester à la maison, indéfiniment. Tant que l’argent magique (qui n’existait pas) continuera de couler à flots. Pourvu que ça dure (ou pas). Je suis payé pour :

– Contempler chaque jour ce bout de mer Méditerranée qu’il m’est donné d’apercevoir au loin
– Écrire à la craie des messages sur mon ardoise d’écolier
– Participer aux brèves de bistro entre copains sur Twitter
– Arroser le camélia
– Me couper les ongles en épiant une procession de fourmis
– Pousser les portes de la Comédie-Française depuis mon canapé
– Prendre des nouvelles des 4 rangs de petits pois semés par ma mère
– Lire Le 1 en long, en large et en travers
– Jeter Vavache pour distraire Kimberley
– Construire des châteaux en Espagne
– Rester informé mais pas dupe
– Scruter la cime des pins parasols
– Observer mes voisins en cage
– Nettoyer les plinthes de l’appartement en compagnie d’Alain Souchon
– Ne pas faire de jogging même si j’en ai la brusque lubie
– Lire, apprendre, réfléchir, me cultiver ou me tourner les pouces
– Écouter la minute confinée quotidienne de Pascale Clark
– Jouer à Pictionary avec mes nièces et rire de mes dessins aussi tartes que loupés
– Penser aux soignants, aux aidants, aux précaires, à ceux qui font tourner le pays bon an mal an, aux sans-logis, aux mal-accompagnés, aux anciens, confinés dans leurs chambres comme punis sans dessert d’avoir trop longtemps vécu

Et toujours la main gauche malicieuse de Clémentine Mélois. 

* Ses images sont des gestes barrières contre l’angoisse (article du Nouvel Obs)
* Suivre Clémentine Mélois sur Instagram, Facebook, Twitter


—–
Ce sont les petits riens qui font toujours du bien


Quand je me pique d’écrire à mes abonnés, je sors ma boîte à outils (sendinblue) et j’improvise une infolettre. Elle n’est ni automatique, ni régulière. Je l’adresse aux quelques 200 confinés qui ont renseigné leur adresse électronique dans le formulaire « s’abonner » puis validé la procédure en bonne et due forme (en bonnet difforme, comme je l’ai lu un jour sur un forum). Au fil du temps aujourd’hui élastique, des messages, des échanges, des questions, des remerciements. Pas encore de troll, dieu merci, mais je saurai leur dire d’aller voir ailleurs si j’y suis et d’y rester. J’ai récemment interrogé ces 200 lecteurs. En ces temps inquiets, quel est votre petit bonheur ou réconfort quotidien ?

Voici six réponses que j’ai choisi de publier :

Je suis confinée seule chez moi à Bordeaux centre, près de la place de la Victoire. Une des choses que j’aime en ce temps particulier est : réfléchir au menu du jour en fonction de ce dont je dispose, de mes envies, préparer le repas et, pour finir, me régaler.  — Chantal

Mes petits bonheurs du jour : Lire ton billet 😉 Dîner avec mes garçons (19 et 22 ans) + leurs deux amis (18 et 22 ans) et je leur demande de me raconter leur journée. On parle lecture, jeux videos, bêtises vues sur les réseaux sociaux, et j’essaie de les motiver à faire du sport dans le jardin ! — Marie-Hélène

J’habite au centre ville un appart avec une petite terrasse qui donne sur des jardins. Chaque matin au lever, j’ouvre la porte-fenêtre et j’écoute le chant des oiseaux dans les haies et les arbres. Il y a des moineaux, des merles, des mésanges, des pinsons, des rouge-gorges.
— Ben

Ce qui me fait plaisir chaque soir, c’est ce moment de vie à 20h sur les balcons pour applaudir, taper sur des casseroles, crier bravo à tous ceux, soignants et travailleurs en première ligne. Je vis ce moment également comme une façon entre voisins de se dire « on est là, toujours vivant ». Il y a aussi l’écriture, le yoga, les Skypéros 😉
— Laure

J’aime quand la chienne chahute dans sa cabane parce qu’elle est contente.
— Laurent

Avoir mon appart tout propre, un peu comme si je prenais ma revanche sur le virus que je ne peux contrôler. Je contrôle la propreté de ma maison. C’est un peu idiot comme réconfort, mais c’est la réalité. Ce qui me fait du bien, ce sont les concerts de M en live sur Instagram tous les jeudis. J’oublie pendant 1h ce qui me tracasse et je chante à pleins poumons !
— Fanny

Et comme le chantait Pauline Ester,
« Ce sont les petits petits petits petits petits riens 
Qui font toujours du bien 
Ce sont les petits petits petits petits petits riens 
Sans lesquels on est rien ». 


* Les petits riens (paroles : Pauline Ester – musique : Frédéric Loizeau), extrait de l’album Le monde est fou (1990). À moins de détenir physiquement l’album, vous ne pourrez écouter en ligne la chanson mentionnée dans le billet. Je vous propose néanmoins d’écouter Il fait chaud, chanson pour laquelle j’ai une tendresse.




—–
Pour le meilleur et le sou(pire)


Je m’étais déjà penché sur la gymnastique mentale qui m’oblige à ne pas m’attarder sur les raisons, minuscules ou pas, qui font que le monde ne tourne pas rond, ou plutôt à remplacer chaque bouffée négative, chaque nom d’oiseau ravalé, par une pensée positive, poétique, bienveillante. La triste période que nous traversons ne donne pas à voir le meilleur en l’humain et c’est un doux euphémisme. Me courent sur le haricot, les éditocrates confits d’arrogance qui disent ce qu’il faut penser, ce qu’il faut faire sans s’être mis deux minutes dans la peau des gens qu’ils jugent ou conseillent. Me hérissent le poil, les ministres, les apôtres du capitalisme, les conseillers, autant de poulets sans tête qui continuent de galoper dans la basse-cour, de radoter des éléments de langage, des doctrines absurdes. Pauvre quidam obéissant, je renseigne scrupuleusement mes attestations de sortie dérogatoire pour satisfaire les besoins naturels de la petite, matin et soir ; je respecte scrupuleusement le confinement, je ferme les yeux sur la vingtaine de promeneurs que je croise en cinq minutes un lundi après-midi de Pâques, sur leurs raisons probablement fondées, qu’en sais-je ; sur les rues environnantes jonchées de déchets, de déjections canines, de canapé défoncé, de frigo disloqué. Je me dis que non je n’ai pas entendu ce gars qui se vantait au téléphone d’un apéro clandestin chez ses potes, je ne dis rien à l’ami qui a bravé l’interdit pour faire du tourisme, je soupire, je ne veux pas entendre ses arguments en carton. Les raisons de s’agacer, de désespérer, sont multiples. Celles d’être optimistes ne se sont pourtant pas évaporées. À ce tableau peu ragoûtant et incomplet, il manque, c’est certain, toutes les bonnes actions, les solidarités qui ne font pas de bruit, les actes civiques qui ne se voient pas, l’altruisme sans fanfare.

À ma philosophie positive bricolée à la petite semaine, il manque les coquelicots que j’ai pris tout à l’heure en photo, alerté par l’incongruité des fleurs parmi les détritus, et que la petite Kimberley a reniflés, attirée par l’odeur laissée par un de ses collègues à quatre pattes.


—–
La vie (confinée) en rose

Je le porterai à l’hôtel avec une cravate verte

La gentille voisine, Shajan, qui nous avait offert des cannelés et des madeleines maison, a cousu pour ses enfants, des amis, ses voisins, des masques en tissus mais aux normes Afnor, suivant scrupuleusement les patrons proposés par quelque site expert en la matière. Nous n’attendrons pas que les autorités nous fournissent en « masque grand public » pour répandre nos probables miasmes et braver le risque dans les transports en commun ou au supermarché. Ma moitié télétravaille du lundi au vendredi, je chôme partiellement du lundi au lundi, je lis, j’écris, je tourne en rond, je sors la petite, les poubelles et de moi-même. Je continue d’observer mes pairs, le voisin du quatrième qui déambule le matin de 8h à 9h, parcourt le labyrinthe que dessinent les plates-bandes, va et vient, imperturbable tel le hamster dans sa roue, bute contre la murette en fin de course, croise la voisine du troisième qui agite ses bâtons de marche, clic-clic clic-clic sur le bitume, clic-clic clic-clic en écho dans le virage, clic-clic clic-clic rien ne l’arrête. Elle songe aux livres qu’elle a sortis des cartons pour les mettre à disposition du voisinage sur les boîtes aux lettres dans l’entrée. Je sais que c’est elle, la dame du sixième me l’a dit. L’affiche qu’elle a placardée propose de tuer le temps long en prenant un roman sentimental pour chez soi. Quelqu’un y a posé son commentaire « super idée » assorti d’un cœur. Quelqu’un d’autre s’est piqué de dessiner un cercle à la craie rose autour des déjections canines au pied de l’immeuble. Un coup de craie vengeur mais rose, accompagné d’un point d’interrogation, inquisiteur mais rose.


—–
Un peu d’R


Un temps de Parisien enveloppe Marseille d’une ouate épaisse et grise. Ça change des 300 jours d’ensoleillement par an dont on se vante par ici. Il faut arroser le peu d’espaces verts que compte la ville, tremper le massif des Calanques qui respire un peu, sans humains, doucher l’empressement des promeneurs, remiser temporairement shorts et sandales. Mes deux voisines de l’immeuble d’à côté, au troisième, côté rue, côté soleil habituellement, n’exposent plus leurs rondeurs constellées de tatouages. Devant la supérette en bas de chez nous, on fait crisser sur le bitume détrempé ses claquettes-chaussettes, on ne s’embarrasse pas d’élégance, on s’emmitoufle dans sa couverture ornée de Mickeys, on tire sur sa laisse, on attend sa maîtresse, on picore des miettes de pain, on esquive les coups de pieds, on bat des ailes. La petite m’emmène dans l’impasse, elle aboie après le chat qui nous observe, imperturbable. Pendant qu’elle cherche l’inspiration, j’aperçois un bout de câble enroulé autour d’une ligne électrique, j’y vois un R majuscule auquel je peux accrocher les restes des mots ribambelle, ravigotant, remue-méninges, retrouvailles, rigolo, roudoudou. Ou rêver.


—–
Navets, cannelés et polenta !

L’ombre du R qui illustre le billet précédent
Dimanche. 14h et des poussières de pollen. C’est un jour presque comme un autre. Accoudé au balcon côté jardin, je poursuis l’observation paresseuse de mes voisins. Assise sur un coin de murette, une mère a posé une ribambelle de sacs, des bouteilles, un gros camion jaune en plastique et un tube de bulles de savon dans lequel elle puise de quoi émerveiller le plus petit de ses enfants. Sur l’immense terrasse en béton de l’immeuble d’à côté, une table de ping-pong résonne du silence des balles qui n’ont pas heurté sa surface depuis belle lurette.
En attendant la fin du confinement pour jouer avec ses invités éparpillés, la jeune locataire se dore la pilule sur une serviette de plage rose ornée de flamants jaunes.

41 jours de confinement, 4 romans dont 2 coups de poing (La Vraie Vie d’Adeline Dieudonné, Né d’aucune femme de Franck Bouysse), une multitude de films et de séries (Unorthodox, À Couteaux tirés, This is us, Deux moi, Tales from the Loop) et beaucoup de navets (Mon inconnue, Mon chien stupide, The Dead Don’t Die duquel je sauve les apparitions de Iggy Pop « Café ! » ou de Carol Kane « Chardonnay ! »). 41 jours que j’ai regardés passer comme la vache regarde défiler les trains, stoïque. Je n’ai vu du pays que dans mes lectures et les films que j’ai vus. Je me suis souvent frappé le front d’effarement devant la pandémie de bêtise, qu’elle soit le fait de puissants ou de badauds. J’ai préféré me noyer dans l’admiration béate de mon homme qui agrémente ou invente des recettes, muffins salés de polenta aux olives et au thon ou cannelés à la feta. Qui replante les barbes de poireaux pour en faire de nouveaux. Qui bouture à foison. Qui dépanne en douze minutes et à distance une collègue quand une équipe de techniciens met deux heures pour échouer.

De mon côté, je fais les courses, je sors les poubelles, j’écris « entrez bonne compagnie » aux craies de couleur sur une ardoise, je jette Vavache à Kimberley et je baye aux corneilles.


—–
Kiki et les Tic Tac

49 secondes de campagne

C’est un instant de campagne que je partage aujourd’hui avec vous (vidéo ci-dessus). Un grillon que ma sœur Sophie a enregistré chez ma mère. Quarante-neuf secondes qui me sortent du confinement et m’emportent en enfance. Quand, chaussé de mes bottes en plastique vert caca d’oie, j’arpentais les fossés humides en quête de faune et de flore, de têtards à mettre en bocal. Des amphibiens qui échappaient fatalement à mon observation — on ne m’appelait pas Laurent-la-lune pour rien —, qui devenaient crapauds hors du bocal, à la fraîche sous les plants de haricots verts et de pieds de tomates plantés par mon père.

Le parfum des feuilles de tomates ou le chant du grillon sont mes madeleines de Proust.

Au-delà de la ferme où l’on se ravitaillait en lait frais, une route interdite que je traversais malgré tout. De l’autre côté, mon Far West, un sous-bois, un tunnel qui serpentait sous le village, une maison abandonnée où je cherchais des trésors, et une petite route qui descendait à pic et longeait la Dordogne. Sur le bas-côté, je coupais à pleines mains de belles brassées d’herbe pour nourrir mon cochon d’Inde Kiki.

Je me revois offrir à ma voisine des Tic Tac au chocolat. J’avais fourré les crottes de Kiki dans une boîte de Tic Tac vide. Oh l’expression sur le visage de ma voisine ! Perplexe. Puis furieuse quand je lui ai avoué mon forfait.

C’est fou ce que le chant d’un grillon et le confinement peuvent produire comme souvenirs : un cochon d’Inde et des bonbecs aussi saugrenus qu’immangeables.



Note : L’émission du chant est réalisée en soulevant obliquement les deux élytres. L’élytre droit, qui porte sur sa face inférieure la râpe stridulante ou archet (alignement de dents lamellaires), recouvre toujours l’élytre gauche pour frotter son grattoir ou chanterelle. Deux zones membraneuses, la harpe et le miroir, amplifient les sons émis. Le grillon est ainsi droitier, à l’inverse de la sauterelle. Les grillons désensibilisent leur système auditif pour ne pas être assourdis par leur propre chant.
(Source : Wikipédia)


—–


La soupape et les patates saoules



Confinement Saison 2 — jour 1. Contre toute attente (emoji clin d’œil complice et moue dubitative), on re-confine et je re-prends la plume. Jour après jour, sans tambour ni trompette, sans chichi. L’hôtel n’a pas encore fermé. Les EPR (établissements recevant du public) n’ont pas vocation à fermer, dès lors qu’ils appliquent un protocole sanitaire strict. Mais comme les gens ne sortent théoriquement pas du kilomètre carré autorisé pour « prendre l’air » ou dévaliser le rayon PQ des supermarchés, ils ne vont pas à l’hôtel. Ceux qui s’y rendent pour des raisons professionnelles (déplacements, formations etc) ne sont pas assez nombreux pour que les hôtels demeurent ouverts. Certains le resteront parce qu’ils ont les reins solides et l’appui d’un grand groupe hôtelier et surtout le recours aux aides de l’État. Accor commence par fermer un hôtel sur deux et privilégie les 3 et 4 étoiles aux 5 étoiles qui tireront le rideau en attendant des jours meilleurs. Armé de l’attestation délivrée par mon employeur, je vais au turbin. Jusqu’à nouvel ordre. Nous fermerons probablement dimanche. Sur l’équipe de 16 personnes (direction, réceptionnistes, gouvernantes et femmes de chambre), 2 ou 3 feront acte de présence. Les 13 autres resteront à la maison. En attendant des jours meilleurs, eux aussi.

Le tchou-tchou régulier de la soupape de la cocotte minute répand des effluves de pommes de terre cuites au vin blanc. Pas d’eau. Uniquement du vin blanc. Le chef à domicile prépare une tartiflette. Oignons, lardons, crème fraîche entière, sel, poivre et patates saoules — le tout chapeauté par deux beaux Reblochons AOP de Savoie. La vie est trop courte pour se priver de fromage.


—–


Santé ?

Salon de coiffure, Marseille 4e

Confinement Saison 2 — jour 2. Cinq minutes à vélo me séparent de l’hôtel. Sept pour le retour car j’ai la journée dans les pattes et qu’accessoirement, ça grimpe un peu. Il est vingt-trois heures et des poussières, j’ai terminé ma journée de boulot. À l’approche du bar karaoké à un pâté d’immeubles de chez nous, j’entends des bruits. Je stoppe le vélo et j’écoute. La fermeture obligatoire des bars sur tout le territoire est un concept difficile à appréhender (#ironie). Derrière le rideau métallique baissé, à l’intérieur, des éclats de voix, des verres qu’on entrechoque illégalement. Peut-être à la santé des gens qui respectent à la lettre les consignes sanitaires, qui sait. 


—–


C’est la Foir’Fouille !


Confinement Saison 2 — jour 3. Je vis un confinement ouate-ze-phoque où il est théoriquement impossible de sortir du kilomètre carré mais il est possible d’aller consommer des breloques à La Foir’Fouille ou chez Gifi à dix kilomètres de chez soi. On ferme les librairies mais on autorise les hypermarchés à vendre des biens culturels. Alors on crie à la concurrence déloyale et POF on interdit la vente des livres en grandes surfaces. Bienvenue en Absurdie ! Le problème n’est pas tant que les librairies soient ouvertes c’est que TOUT ou presque tout est ouvert. Bon, je file acheter mon cubi de vin chez Nicolas (ouvert) pour oublier que dans deux semaines, les chiffres prouveront l’inefficacité de ce confinement qui n’en est pas un. 


—–

Aubergine interdite



Confinement Saison 2 — jour 4. Sous l’œil inquisiteur des clients qui trépignent d’impatience derrière moi, je dépose mes articles sur un tapis roulant dernier cri. À mi-chemin et au commencement d’une barre de séparation automatique, un détecteur arbitre ce que j’ai le droit d’acheter et bannit ce qui est considéré superflu par le Ministère de la Consommation. Les poires gorgées de pesticides, ça passe. Le Coca, ça ne passe pas. Prenez plutôt de l’eau minérale, me souffle la caissière un peu honteuse. Au passage de la bouteille de Bergerac, j’entends un bip réprobateur, ah non, pas possible, c’est le pré carré des cavistes. Les aubergines, même son de cloche. Je m’insurge, c’est pour la moussaka ! Non, monsieur, nous ne pouvons vendre aucun légume d’aspect phallique car les sex-shops hurlent à la concurrence déloyale. Les chips au bon goût de pomme de terre ? Va, pour cette fois. La mayo, pas essentielle. Des rillettes, adoubées in extremis par l’œil soviétique du détecteur. Les cornichons, de justesse. Les Schmackos pour la petite ? Ah ça non. Faites-lui lécher les fonds de casseroles. Le jouet qui couine, sans façon. On ne joue pas, monsieur. Les pâtes, oui, la farine, oui, le PQ, qu’il pleuve ou qu’il vente, toujours la raie nette. Le boulghour pour la moussaka sans aubergines (sniff), le chocolat pâtissier et la glace à la vanille pour les poires Belle-Hélène, oh mais c’est Byzance, chez vous, commente la caissière narquoise. Non mais de quoi j’me mêle. De vos oignons, monsieur, hihihi, me nargue la patronne, Anne-Laure. À la caisse d’à côté, une dame se voit confisquer le mascara. Non essentiel, lui rétorque-t-on. Pas de maquillage pour le rendez-vous galant par caméras interposées pour lequel elle s’était fait une joie. Et lorsque que je m’empare de La Provence du jour, un vigile surgit et me l’arrache des mains en aboyant « on a oublié de bâcher les devants de caisses ». Comme je me débats, je VEUX lire la presse, je VEUX m’informer, on me pousse dans le dos, on m’invective, on me tire toute la couette. Laurent, réveille-toi, tu vas être en retard pour le boulot !


—–

Au secours, vous êtes laide

Extrait du génial feuilleton québécois Le cœur a ses raisons, créé par Marc Brunet 

Confinement Saison 2 — jour 5. À la faveur d’une course pas tout fait essentielle chez Monoprix sur la Canebière, je discute avec les deux caissières qui me font face. Je leur souhaite bien du courage pour séparer les rayons et empêcher la vente de ce qui sera considéré comme non essentiel. Les livres, les jouets, les vêtements, le maquillage par exemple. 

L’une d’elles rétorque : 

— Oh, vous allez voir une hécatombe de laides. Sans maquillage et sans coiffeur, on fera peur, dit-elle à sa voisine de caisse avec un clin d’œil appuyé.
— Ça sera Halloween tous les jours chez Monoprix.

Elles éclatent de rire. Et moi avec elle. Je les remercie et quitte le magasin le cœur un peu plus léger.


Mise à jour : À condition de réserver 4 m2 à chaque client, les grandes surfaces pourront vendre l’alimentaire, les journaux et la papeterie, les matériaux de construction, la quincaillerie, ainsi que les produits de toilette, d’hygiène, d’entretien et produits de puériculture. Ceci dit, vous avez le droit de pratiquer la chasse à proximité de chez vous. Les chasseurs, premiers écologistes de France, fin de la blague. (Sources : Le Monde, Reporterre)


—–

E-paumée l’ipomée

Ipomées

Confinement Saison 2 — jour 6. Daho dans les oreilles et muni de mon attestation dérogatoire de déplacement, je croise la vieille dame qui sort la teigne, l’ennemi juré de la petite. Comme elle est un peu sourde et que je suis masqué, j’assortis mon bonjour vocal d’un plissement d’yeux. Quand Kimberley me promène, la dame joue à cache-cache un court instant derrière une voiture pour éviter la confrontation et le concert d’aboiements. Je balade mes pensées dans le quartier, je prends en photo la cascade d’ipomées qui décore ce bout d’immeuble terne, je songe aux rêves totalement loufoques qui m’habitent. Allez savoir quelle injonction j’ai reçue de mon cerveau ensuqué cette nuit pour ôter mon bouchon d’oreille et me le mettre en bouche. Ça m’a réveillé, bien entendu. Et vous, ce confinement, ça se passe comment ?


—–

Bon pour 1 jour de légèreté bis
J’ai commandé trois exemplaires de l’ouvrage de Clémentine Mélois, chez ma libraire !


Confinement Saison 2 — jour 7. 12h12. Je songe à mes dernières heures de boulot avant le déluge. J’absorbe stoïque mon deuxième café et le soleil sur le balcon côté jardin. Peu soucieux de la marche du monde, l’âne du Parc Lonchamp brait. Côté rue, qu’il pleuve ou qu’il vente, l’âne du 7e étage de l’immeuble en face continue de jeter son mégot par la fenêtre. Côté réseaux sociaux, Kim Glow met sa bêtise au profit de marques célèbres et Donald Trump se roule par terre parce qu’on a cassé son jouet. Dans la jardinière où survivent quelques pauvres pousses de menthe, le petit chien en céramique cassé darde sur moi ses gros yeux fixes qui réfléchissent la lumière. Sur mon téléphone, je balaye les notifications du petit oiseau bleu me signalant les réactions à mon tweet provocateur et affiche le plateau virtuel d’une version alternative du Scrabble. Je joue ewe pour la énième fois sans en connaître le sens. Ou plutôt, je l’ai su et j’ai oublié. Pendant que je m’efforce vainement de comprendre l’absurdité du monde dans la conjugaison des mots ou des nuages flottant au-dessus du massif des Calanques ou dans le marc de mon café, mon homme descend à la mine et traite à lui seul un des 400 mails quotidiens qui lui incombent. Rien de folichon à signaler aujourd’hui si ce n’est le monde qui s’entre-déchire et ma commande à ma libraire de quartier (La Touriale, Cinq Avenues, Marseille) de l’ouvrage délicieusement décalé de Clémentine Mélois, Bon pour un jour de légèreté chez Grasset.  

* Bon pour 1 jour complet de légèreté non remboursable → Ici 🙂 


—–


J’ai corrigé le JDD
Confinement Saison 2 — jour 8. Je m’agace souvent des raccourcis dont usent et abusent certains médias. Je sais aussi saluer l’humilité d’une journaliste qui entend mon argument et modifie son article. Pas une coquille, ni une faute de français, non non. Une erreur factuelle sur le port du masque, ou plutôt une omission. Hier soir, je lisais « Recommandé au début, obligatoire ensuite ». NON. Jugé inutile au départ. Coucou Sibeth, coucou Olivier V. Rappelez-vous. Bref, la journaliste Anne-Charlotte Dusseaulx qui veillait probablement au grain du JDD m’a répondu très cordialement et a corrigé son papier. C’est assez rare pour le signaler. Quand j’alerte gentiment et avec mille précautions oratoires une auteure qui s’insurge à juste titre contre le traitement accordé aux auteurs et traducteurs, à propos d’un -s qui manque à « douche de champagne » — ça craint du boudin —, silence radio, aucune relecture. Ok, y a pas péril en la demeure et je me trompe moi-même en faisant hennir un âne, alors qu’un âne, ça brait, mais passer et repasser ses textes à la moulinette de la relecture, quand on est auteur, qu’on est (mal) rétribué pour cela, c’est la moindre des politesses.  A priori, un chirurgien n’oublie pas ses gants dans la rate du patient qu’il a opéré. C’est la base.

Je vous invite malgré tout à lire la tribune frappée au coin du bon sens de Titiou Lecoq →  En 2020, écrire des livres n’est toujours pas considéré comme un travail  


—–


Exit Donald Trump !
PHOTO : AP / EVAN VUCCI

Confinement Saison 2 — jour 9. C’est ce soir qu’on annonce la défaite officielle du président le plus stupide des États-Unis d’Amérique. Et la victoire de Joe Biden. Kamala Harris, première femme noire vice-présidente ! 


—–


Le coup de langue du pangolin

Une vue depuis mon balcon côté jardin très tôt le matin, Marseille

Confinement Saison 2 — jour 10. J’ai posté cette photo il y a un an sur les réseaux sociaux. D’un coup de stylet, j’ajoutais un commentaire, un cri du cœur : je ne veux pas aller travailler. Et dans un soupir ensommeillé, trois petits points. Il y a un an peu ou prou, presque simultanément*, un malheureux pangolin léchait des fourmis sur le cadavre d’une chauve-souris infectée dans une grotte. Et de fil en aiguille, de braconnage en exploitation en cuisine ou en pharmacopée, le mammifère pholidote chinois et son coup de langue innocent, tel le battement d’ailes du papillon, m’accordait sans le savoir un an plus tard les vacances que j’appelais de mes vœux. Avec les dommages collatéraux** que l’on sait.  


* estimé à la louche ou au doigt mouillé dans le café
** euphémisme


—–

2030



Confinement Saison 2 — jour 11. Journée inquiète. La petite a fait un malaise et l’idée de la perdre fait son chemin et nous terrifie. Avant la visite chez Guillaume, le vétérinaire, ce soir, nous nous occupons l’esprit. Ma moitié travaille. J’écoute le podcast de Pascale Clark, en balade avec Philippe Djian. Et je lis son dernier ouvrage, 2030, un « roman de légère anticipation » comme l’annonce l’avant-propos. Dans l’émission, il évoque son attirance pour les flots, océan, rivière ou lac. Je songe pour ma part à mon escapade hebdomadaire à vélo : rendre visite à la belle bleue, à 4 kilomètres et 300 mètres du domicile. Et je vous vois me faire les gros yeux. Parce que j’envisage de braver l’interdit, d’aller au-delà du kilomètre autorisé. Si le quidam peut parcourir 10 kilomètres pour faire du shopping (parce qu’il a un besoin impérieux d’acheter du gel hydro-alcoolique estampillé Gifi), je peux bien donner à manger au chat d’une collègue habitant aux Catalans ou chercher un colis dans une échoppe proche des plages du Prado ou ajouter sur l’attestation dérogatoire de déplacement la formule : 

☑ Respirer l’air du large. Observer les moutons formés par le Mistral à la surface de la mer, une fois par semaine. Tracer sur le sable les mots d’Omar Khayyâm, joli rappel de l’amie Nawal sur Twitter ce matin : Sois heureux un instant. Cet instant c’est ta vie. 

☑ Le reste du temps, voyager en Littérature. 

—–

Chris Pratt a joué pour 20 points


Confinement Saison 2 — jour 15. Je joue contre Chris Prat-avec-un-seul-T, j’écoute de la variétoche pour alléger l’atmosphère. Les Bee Gees cohabitent avec Les Porte-Mentaux 🤣, Eagles avec Confetti’s 😬. Dans le poste, Monsieur Déconfinement annonce qu’il n’a rien de spécialement nouveau à annoncer, rien que les journaux n’aient déjà éventé. Pour enquiquiner les « lanceuses d’alerte » Kim Glow et Juliette Binoche*, j’active l’appli #TousAntiCovid avant de sortir la petite pour sa commission du soir. Aussi experte en géopolitique que ses copines Kim et Juliette, prolixes sur les réseaux sociaux, Kimberley dissémine une goutte de pipi par-ci par-là et aboie à son ombre : la petite grogne après le caddie d’une passante qu’elle a confondu avec un de ses congénères. Bon, c’est pas tout ça, j’ai une série** à terminer. Et sans rapport avec la choucroute, je vous laisse avec le refrain entonné par À Caus’ Des Garçons*** :

🎵 Pas envie d’expliquer 
Juste envie de rêver 
J’crois qu’aujourd’hui l’soleil va cogner 
Lâche tout Ginette, viens, on va traîner 🎵



* Elles croient mordicus (et le font savoir) que nous vivons un complot ourdi par Big Pharma et Bill Gates (et les plus grandes fortunes). Selon elle et tout un tas d’autres gens bien renseignés ha ha ha ha ha, le vaccin et la puce microscopique qu’il contiendrait permettrait à Bill Gates de nous subtiliser toutes nos données via la 5G. Comme si nous ne le faisions pas déjà chaque jour où nous nous connectons à Facebook et chaque fois que nous cliquons sur « accepter tous les cookies »…

** The Queen’s Gambit (en français le Jeu de la Dame) sur Netflix

*** Pas envie d’expliquer (Laurence Heller – Hélène Bérard / Alain Chamfort) 

—–

Échec et Pratt



Confinement Saison 2 — jour 19. Le titre de cette contribution conviendrait mieux au précédent billet où il était question, très très très très vaguement, de l’acteur Chris Pratt. Mais voilà, mon sens du timing et de la répartie étant ce qu’il est (pas toujours opportun), je recycle ici mon titre, échec et Pratt. Digne des blagues Carambar, mais j’assume. Que fais-je donc de mes vacances confinées ? Car je suis en congés payés, oui oui. Nous verrons bien ce que décembre nous réserve. La question n’est pas « Y aura-t-il de la neige à Noël ? » mais y aura-t-il des clients à l’hôtel pour qu’on rouvre. En attendant, les guignols qui nous gouvernent communiquent sur le retour de la messe et « les arbitrages » utiles pour autoriser la vente des sapins de Noël. Le sens des priorités. Pour ma part, je me nourris de séries*, de romans, des pizzas maison mitonnées par mon homme et je me remets aux échecs. Et vous, votre confinement ? 


* J’ai dévoré Le Jeu de la dame (The Queen’s Gambit) et vous conseille chaudement la série (sur Netflix). Impressionnante Anya Taylor-Joy. Dans un tout autre genre, nous terminons la 3e saison d’Ozark (même plateforme). Suis bluffé par la prestation de Julia Garner (je l’avais trouvée énervante dans Dirty John, excellente série en 2 saisons). La v.o. est ici obligatoire pour saisir tout le jeu** des acteurs et l’accent à couper au couteau des locaux, élément essentiel de l’intrigue. Pour la faire courte et cliché, il illustre le fossé entre deux camps : celui des (prétendus) ploucs (mes préférés, Ruth, Darnelle, Wyatt) vs. les notables de la ville (les Byrde, l’avocate Helen Pierce, etc). 

J’en profite pour féliciter publiquement ma nièce, Louise, 10 ans qui me signale regarder Emily in Paris en version originale. Alors si elle le peut, vous le pouvez, chers adultes 😉 

** Je ne dis pas que le doublage est mauvais mais que le jeu de l’acteur est aussi dans sa vraie voix, pas dans celle d’un autre qu’on lui colle, même avec talent.


—–

Après-midi en absurdie



Confinement Saison 2 — jour 21. Armé d’une autorisation de déplacement dérogatoire, j’ai pris mon vélo pour aller acheter une salade à 760 mètres du domicile. La frisée lavée et consommée avec les restes de pizzas maison, mon homme est passé dans la pièce à côté pour travailler*, j’ai rejoint mon amie Claire place Sébastopol pour inaugurer notre book club hebdomadaire sur un coin de banc public. Mobilier rare et prisé que reluquaient avec envie les p’tits vieux du quartier venant y poser leur âme confinée, le banc a accueilli une conversation à bâtons rompus entre deux ex-Parisiens venus chercher le soleil dans la cité phocéenne. Je tends à mon amie un café à emporter et lui dis en substance : est-ce que dans tes rêves les plus fous, tu aurais imaginé ça ? Masqués, à chercher un point de rendez-vous à l’extérieur, un banc public pour y occuper une heure de temps autorisée par décret ? Confinement, déconfinement raté, vrai-faux re-confinement, pas un jour ne passe sans que je sois frappé par l’énormité de ce que nous vivons. Nous entrechoquons nos gobelets de café et nous autoproclamons, non sans ironie, elle présidente et moi trésorier de ce mini-club de lecture qui nous réunit aujourd’hui. Calés au soleil, face à une terrasse de café où chaises et tables ont été empilées, cadenassées, flanqués d’une camionnette Pizzas Charly bardé du slogan « elles me fendent le cœur », nous échangeons Tiffany McDaniel chez Gallmeister contre Aki Shimazaki chez Actes Sud (Babel en poche), nous commentons l’actualité, nous rions quand je signale la vente autorisée par décret des sapins de Noël, nous évoquons les articles prétendument essentiels. Faute de pouvoir acheter en magasin des boules de Noël pour orner le sapin acheté en click and collect à partir de demain, nous pouvons en revanche miser sur les boules du Loto ; les points de vente de la FDJ resteront ouverts « quoi qu’il en coûte ». Claire et moi revenons à nos moutons, moins polémiques, moins désespérants et plus prompts à offrir des voyages immobiles à foison, les livres, et nous donnons rendez-vous sur un banc public la semaine prochaine. 


* Rappelez-moi de vous raconter les deux perles savoureuses qu’il m’a confiées ce midi autour de la frisée.

—–

La dinde illuminée
Illumination de Noël dessinée par des enfants de Newburgh en Écosse © Poppy McKenzie Smith sur Twitter 


Confinement Saison 2 — jour 25. Les pies jacassent dans les pins parasols qui dressent leur lointain souvenir de nature sur le gazon du parking de la résidence. Des planches s’entrechoquent dans un coin de chantier hors de vue, une souffleuse thermique a remplacé l’huile de coude et achève son vacarme dans une cour d’immeuble, l’amie voisine fouette une préparation, le soleil me caresse le visage, je tapote des lettres qui deviennent des mots épars, des phrases conjuguées, des idées décousues. J’alimente ce journal de pensées caféinées. Je traîne mon oisiveté sur le petit oiseau bleu qui vocifère plus qu’il ne chante, je mets à distance l’agacement et me concentre sur la poésie plutôt que sur le lisier, l’innocence plutôt que le sarcasme, une dinde illuminée* dessinée par des enfants de primaire à Newburg en Écosse. J’ouvre le MMS envoyé par ma sœur et observe avec tendresse le hérisson qui gloutonne les croquettes de la chatte de ma mère. Le lilas dans son pot bourgeonne déjà ; there’s no more seasons my poor Lucette. 


* L’histoire de ces illuminations dessinées par des enfants est racontée dans Ouest France (article)

P.S. j’avais promis de vous livrer deux anecdotes racontées par mon informaticien de mari. Vous les avez probablement déjà lues dans ce billet. Je les ai également consignées dans l’onglet Perles informatiques.
—–


Timbrée
Des timbres-poste à l’effigie de Kimberley

Confinement Saison 2 — jour 26.  Ce soir, le PDG de la start-up nation France annonce des mesures qui ont été diluées, comme d’hébétude, dans la presse. Un allègement des contraintes. Et dans les supermarchés, le soulèvement des bâches qui empêchaient la vente des jouets et des vêtements. Hors de question de déconfiner, va-t-il dire. Fin de la blague. Hormis mon séjour prolongé à domicile, je n’ai pas vu de différence entre le déconfinement et le reconfinement : même circulation humaine dans les rues incluses dans mon kilomètre carré. L’État va continuer de verser des aides aux entreprises pour que les gens continuent de se promener le masque sous le nez. 

Pendant ce temps, je lis, je joue, je prépare des timbres-poste à l’effigie de la petite Kimberley


—–

Viens, on va voir la mer !

 

Confinement Saison 2 — jour 31. J’ignore encore si mon mois de décembre va être chômé ou travaillé. En attendant, je suis oisif, lent, improductif et ça ne me pose aucun problème. Je choisis d’occuper mon temps de la façon la plus agréable qui soit et demande à ma moitié : Viens, on va voir la mer !

Le morceau de littoral le plus chouette se trouvant à 4 kilomètres du domicile, je peux désormais me prélasser légalement 2 heures et trente minutes* aux Catalans ou mieux, un peu plus loin sur la Corniche, dans un coin de Marseille que j’apprécie particulièrement, Malmousque, un livre en poche et mon regard tour à tour perdu dans le roman en cours de lecture et dans la beauté de l’eau s’étirant sur l’immensité. 

Aujourd’hui, nous avons enfourché nos vélos pour longer la côte jusqu’à l’Anse de la Vieille Chapelle où la courte vidéo ci-dessus a été prise. Je vous laisse imaginer les badauds trinquant à un bout de liberté retrouvée, d’autres jouant à la pétanque sur un bout de plage gravillonnée. Siroter un p’tit jaune et taquiner le cochonnet avec une vue sur la Méditerranée, avouez qu’il y a pire destin dans la vie.


* Les trente minutes légales restantes sont dédiées au trajet aller et retour à bicyclette


—–

Les envahisseurs



Confinement Saison 2 — jour 33. PastaChiche a dessiné les contours d’un nuage* que j’ai photographié ce matin (illustration retouchée par ses soins). Elle m’a ouvert les yeux. Ils sont là. 😂 (j’ai ajouté un emoji qui rit aux larmes pour signifier à l’équipe premier degré qui passerait par là que je suis ironique). Lorsqu’au mois de juin, je lui ai envoyé un sachet de bulbilles** provenant des kalanchoés qui prospèrent sur nos balcons ensoleillés, je ne pensais pas à autre chose qu’à partager nos aliens, les implanter dans son biotope. Ma modeste participation à La guerre des Mondes de H.G. Wells. 


* Quand je donne des formes connues (objets, animaux ou visages) aux nuages, je « souffre » de paréidolie. Un phénomène psychologique (que pour ma part, j’approcherais de la poésie, hein) dont souffre également l’ami Matoo (symptômes lisibles sur son blog)

** Les bulbilles ou propagules (image) se forment au niveau des feuilles du kalanchoé daigremontiana. Un coup de vent les projette facilement sur un coin de terrasse où ils peuvent devenir plantule sur un amas de poussières et de poils de la petite Kimberley. 


—–

La vieille dame et son masque Da Vinci


Pseudo-confinement Saison 2 — jour 36. Une fois n’est pas coutume, le ciel est gris foncé à Marseille. J’occupe aujourd’hui mon temps chômé pour aller faire quelques courses et traîne dans mon sillage un caddie rouge orné de fruits hilares qui crient « Vous êtes pressés ou quoi ? Ne poussez pas ! » En chemin, je salue mes chers épiciers (illustration) qui ferment boutique après quarante ans de bons et loyaux services. À l’intérieur, Joseph inscrit les mentions utiles pour les habitués, clients, voisins, amis, anonymes qui venaient pour une course ou pour chercher un colis. À l’extérieur, sa sœur Joëlle lui fait des signes quand les lettres qu’il trace partent dans le mauvais sens —il écrit à l’envers pour que ce soit lu à l’endroit. Je sors mon téléphone pour faire une photo et la leur envoyer. Nous passerons mon mec et moi demain pour leur offrir un petit cadeau d’au revoir, des fleurs, une boîte de chocolats. 

Sur le chemin du retour, la montée de la rue de la clinique est pénible pour tout riverain, qu’il soit encombré ou pas. Marseille, c’est pas San Francisco mais pas loin. Une vieille dame tire sur son caddie plein d’emplettes. Main gauche, le chariot noir, main droite un sac de courses. Je lui offre mon aide, qu’elle refuse. J’insiste, elle refuse encore, poliment. À la troisième tentative, elle accepte que je lui porte son sac d’où dépassent une forêt vierge d’orchidées et de plantes. On papote le temps de la montée jusque tout en haut. Elle rouspète quand les voitures nous obligent à nous rabattre sur ce qui tient lieu de maigre trottoir : 

— Oh mais c’est comme sur la Canebière ! Oh la la, en plus, ils avancent comme des chiques !

Je plaisante en lui disant que ça lui fait son sport quotidien. Elle sourit derrière son masque à l’effigie de la Joconde.

— J’ai l’habitude, j’habite ici depuis 1956.

Avant de nous quitter, elle me déconseille de vieillir.

— C’est pas possible, lui dis-je. 

Au-dessus de ses yeux rieurs, un serre-tête en forme d’oreilles de chat serti de strass lui donne un air espiègle.

— Si nous ne vieillissions pas, il y aurait trop de monde, lui dis-je. 
— Nous sommes combien sur Terre ? 7 milliards ? Vous vous rendez compte ! Allez, bon bout d’an, comme on dit en Provence.
— À vous aussi, madame. 

À l’angle de la rue, tout en haut, je souffle comme un âne, récompensé par l’arc-en-ciel qui fend l’horizon gris souris et le sentiment d’avoir gagné cinq minutes de chaleur humaine. 


—–

Blablalab 


Pseudo-confinement Saison 2 — jour 41. Même si je m’agace contre l’incompétence du service d’impression de photos et produits dérivés Lalalab* (ils me cherchent, ils me trouvent), je n’ai pas complètement perdu ma journée : j’ai appris le mot petrichor et l’existence d’une page Wikipedia consacrée à la pratique de l’hélicobite


* Vous qui avez demandé à votre moteur de recherche préféré ce que vaut Lalalab, voici mon retour d’expérience : dans mon panier du 14 novembre, des calendriers personnalisés à mettre sous le sapin de mes proches. Je crois encore au Père Noël. 3 semaines passent sans que ma commande ne change de statut. « En cours d’impression » : ils attendent probablement que l’encre sèche, me dis-je benêt. J’alerte le service client à propos de l’anomalie. On me rétorque que ma commande aurait en effet dû me parvenir fin novembre (tu m’étonnes Elton) et qu’on allait créditer mon compte client du montant de la commande ratée. En somme, on m’offre de passer une nouvelle commande chez eux, ce même fournisseur qui a perdu ma confiance. Renouveler la mauvaise expérience. Soit ils ont bu, soit ils ont vu Bernadette Soubirous apparaître en dessous chics dans leur navigateur, soit les deux. Comme j’ai été bien élevé, je dis merci mais non. Et je file chez la concurrence, sans oublier de leur rendre la monnaie de leur pièce, ce billet bien senti. En tout cas, j’attends de pied ferme le remboursement. Lalalab est incompétent mais peut-être pas malhonnête. Wait and see. 


—–

Ceci n’est pas une critique littéraire 


Pseudo-confinement Saison 2 — jour 46. Je reprends le chemin du travail ce vendredi, pour trois jours seulement. Novembre a été chômé. Je chausserai mes souliers de réceptionniste pour une portion congrue du mois de décembre. Une petite partie de l’équipe aura assuré à ma place la permanence de l’hôtel rouvert depuis le 30/11. Semaine de Noël, nous refermons les volets car les réservations ne suffisent pas, ne motivent pas économiquement l’ouverture. Il faudra que je songe sérieusement à une porte de sortie, une reconversion, quand l’hôtellerie prend déjà des airs sinistrés. Soupir. Que faire pendant le deuxième confinement qui n’en a que le nom ? J’ai pour ma part choisi de m’évader en littérature. Et je n’ai jamais autant lu. 7 romans m’ont diverti, interrogé, agacé ou passionné. 

Je viens de terminer la lecture de l’Anomalie de Hervé Le Tellier, Goncourt 2020, et reste coi devant le tour de force. Il faut énormément de talent pour rendre plausible l’histoire qu’il nous tend. Elle est incroyable et l’auteur en maîtrise tous les aspects, évoque toutes les questions que le lecteur incrédule pourrait se poser. Je n’en dirai pas davantage car je finirais par déflorer l’intrigue. Ce matin, j’entretiens le plaisir de l’après-lecture, je tire sur le chewing-gum pour en prolonger la durée et le goût, je lis un entretien puis une critique qui, fatalement, racontent et gâchent la surprise. Vous me direz que je suis un peu particulier chiant et vous aurez raison. Je n’aime pas qu’on me mâche le travail, qu’on sabote mon étonnement. Je ne lis donc jamais aucun quatrième de couverture, aucune critique littéraire. Pas plus que je ne regarde la bande-annonce promouvant le film ou la série que j’ai l’intention de regarder. Je fonctionne au bouche à oreille, à la curiosité. 

J’ai lu : 

* Hervé Le Tellier, L’Anomalie ⭐⭐⭐⭐⭐
* Serge Joncour, Nature humaine ⭐⭐⭐⭐⭐
* Tiffany McDaniel, Betty ⭐⭐⭐⭐
* Faïza Guène, La Discrétion ⭐⭐⭐
* Faïza Guène, Kiffe kiffe demain ⭐⭐⭐
* Philippe Djian, 2030 ⭐⭐
* Amélie Nothomb, La Soif ⭐

Mes ⭐ sont totalement subjectives.