Vivement que je sois morte pour faire la grasse matinée


à partir de l’œuvre du Polonais Wieslaw Walkuski

En 2002, j’ai mis en scène Grasse Matinée de René de Obaldia. Pour une quarantaine de représentations (à Toulouse, Oloron-Ste-Marie (64), Onesse-et-Laharie (40), Montereau-Fault-Yonne (77), Colombes (92), Levallois-Perret (92) et dans un théâtre parisien pour une soirée en présence de l’auteur). Je lui ai écrit, il m’a appelé, nous nous sommes rencontrés. Et c’est au fil des ans que s’est nouée une amitié nourrie d’admiration, de respect. Au téléphone ou aux Deux Magots à Saint-Germain-des-Prés, je prends de ces nouvelles et lui des miennes. Certains jours, il fait « l’école buissonnière ». Son élégante façon de me signifier qu’il « sèche » une séance de l’Académie française. Il me parle des gens qui l’arrêtent dans la rue. « J’attire les cinglés, » me dit-il, pince-sans-rire. Une fois, un homme lui tapote l’épaule, lui récite « le plus beau vers de la langue française : le geai gélatineux geignait dans le jasmin. » (paru dans Les Innocentines) et s’en va sans demander son reste. Ou alors, on le prend pour Jean Tardieu : Obaldia est cordial, il ne veut pas contrarier le passant, il prend congé et s’empresse d’appeler Tardieu pour lui narrer l’anecdote. Et tous les deux se gondolent. Un soir dans le métro, une idée fulgurante me traverse l’esprit. Je ne pense qu’à une chose : la noter, y réfléchir, en parler à Obaldia. Vite. Avant que je ne me dégonfle. Car l’idée est culottée. Je ne dis rien à personne de peur qu’on s’exclame : « tu es tombé sur la tête ? Pour qui tu te prends ? etc. » Vite. Une heure après que l’idée m’ait frappé, je laisse un message sur le répondeur d’Obaldia. Je ne peux plus reculer. Dans la semaine qui précède notre rendez-vous, je phosphore, je ne sais pas comment lui parler de ce projet insensé. La veille : j’écris une lettre. Je la lui lirai. Comme ça, je ne me prendrai pas les pieds dans le tapis. Du moins, je l’espère. 10h chez lui à Paris. Ma voix tremble. Obaldia prête une oreille bienveillante à ma folie. Je me lance :

Cher Maître,

Il est des fois où le cœur parle. Cela fait des semaines que la raison me dicte de me taire, de ne pas vous importuner, de ranger dans un tiroir cette idée que je vais essayer de vous formuler, malgré tout. Si vous me permettez ce pléonasme, la raison n’est que raisonnable. Le cœur, l’intuition et la passion m’ont guidé vers vous. Il y a quelque temps, j’ai fait un rêve, vous étiez dans ce rêve. Depuis que je me suis lancé dans le théâtre, un proverbe chinois me répète inlassablement d’« accrocher ma vie à une étoile ». Pardonnez-moi, ma plume est impulsive et j’ai beau lui imposer un brouillon, on n’écrit pas à un poète, un académicien sans faire de brouillon, voyez-y plutôt la maladresse de ma ferveur, et non l’arrogance et la vanité de la jeunesse. Voici mon rêve : faire entendre votre œuvre au plus grand nombre. A l’heure où l’auteur, le livre, la littérature sont galvaudés, et devenus des produits marchands, une voix au fond de moi m’a dit qu’il était temps de rendre justice aux mots, à vos mots, au poète que vous êtes. J’ai rêvé d’une affiche : « Obaldia par Obaldia ». René de Obaldia en habit vert, au Rond-Point, théâtre aujourd’hui dédié aux auteurs contemporains, maison de Madeleine Renaud et Jean-Louis Barrault. Le public viendrait écouter la voix de son maître. Tout ouïe pour le poète « frappé d’immortalité » pour reprendre vos mots. Le regard, votre regard amusé, acéré, émerveillé, désabusé sur le monde tel qu’il va. Faire entendre votre tendresse et votre révolte. Dans Exobiographie, vous écriviez, « Tout ce qui est imaginable est vrai », je vous imagine sur une scène. De nos jours, le metteur en scène se prend pour l’auteur, je suis, quant à moi, votre plus humble serviteur. Afin de remettre les pendules à l’heure. A votre heure. Vous écriviez aussi, dans Exobiographie, « Mon rat fait un tour sur lui-même et ricane. Je sors mon agenda de poche, je note : trouver l’adresse d’Obaldia. » Je suis en mesure de vous donner votre adresse. Mon rat quant à lui est sans voix, puisque j’ai réussi à vous faire part de mon rêve. Si cela demeure un songe, je suis heureux de l’avoir partagé avec vous. Je vous prie de croire à ma plus haute considération.

Voilà !

Lui et moi sommes émus. Il déclare : « Si vous étiez une femme, je vous embrasserais. » Puis il me demande s’il peut conserver la lettre. Bien sûr. Que des jeunes aient à cœur de répandre la bonne parole, la langue française, sa poésie et son théâtre, le touche plus qu’il ne saurait l’exprimer. Discussion à bâtons rompus. Nous parlons de tout. Sauf de mon idée. Et je réalise que ça ne se fera pas. Pourtant, une soirée par semaine, ça me semblait jouable. Peut-être me manquait-il la notoriété, l’entregent. Ou tout simplement, il n’avait pas envie, ne se sentait pas de monter sur une scène. Je ne le saurai jamais. En tout cas, je sais une chose : c’est ce matin-là que nos rapports maître/élève, auteur/lecteur se sont transformés en amitié. 

Mise à jour du 26 janvier 2010 : Au printemps dernier, alors que je me promenais au bout du monde, je m’interroge : « Que devient-il ? » Mes recherches me portent vers un théâtre parisien qui accueille Obaldia (lire l’entretien au Figaro). Entre théâtre et causerie spirituelle. Peu ou prou l’idée que je lui avais soumise quelques années plus tôt. Et je me suis dit : « Tiens, finalement, mon idée n’était pas si mauvaise que cela. » 

✎ Lisez ses Innocentines (poèmes pour enfants et quelques adultes), vous m’en direz des nouvelles ! (éd. Grasset) 

✎ Ou encore Génousie, comédie onirique où l’auteur invente une nouvelle langue. Irrésistible ! 

✎ Et mon impromptu favori : Grasse Matinée. C’est selon moi, son plus beau morceau de théâtre. Une sorte d’hommage drôle et poétique au chef-d’œuvre de Beckett : Oh les Beaux Jours.

René de Obaldia, né le 22 octobre 1918 à Hong Kong est mort le 27 janvier 2022 à Paris

billet publié sur des fraises et de la tendresse en janvier 2010

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