Le confinement avait été pour moi une source inépuisable d’étonnement, d’observation (journal de bord). Je m’abîmais dans la perplexité devant les concepts de commerces non essentiels, de plage dynamique. J’imprimais benoîtement mes attestations de sortie du territoire. Le territoire, mon domicile. Mon mec se faisait alpaguer par un policier lui demandant ce qu’il faisait là, dans la rue, en plein couvre-feu.
— Ça ne se voit pas ? avait-il rétorqué en montrant la petite Kimberley, notre chienne, qui faisait son affaire.
Ce furent quelques mois ubuesques durant lesquels je m’étais amusé à scruter mes voisins en cage. Je n’ai pas pour autant remisé au cafoutche(1) ma curiosité.
Sans transition.
Le petit Tokyo(2) m’emmène au parc. Il espère quelque rendez-vous galant avec des chiens du quartier. Il hume l’air et les odeurs de ses pairs. C’est fou ce qu’un animal provoque comme contact humain. Je n’ai jamais autant parlé à des inconnus que depuis que je promène le petit. La jeune femme, ce matin, qui, de sa voix flûtée, dit à mon compagnon à quatre pattes : oui, amoooouuuur ! Déclaration qui le met en joie, le fait aboyer. La jeune femme d’une quarantaine de printemps et tout en rondeurs commence sa journée. Femme à tout faire de religieux couvant leurs vieux jours dans cet immeuble niché au fond d’une impasse et qui abrite un immense potager, une terrasse et probablement une colonie de hérissons. Pour la bonne conduite de ce billet, appelons cette dame la cantinière.
Midi. Nouvelle sortie du petit.
Je croise un agent du service Parcs et Jardins de la ville qui traverse la rue qui sépare sa cahute des locaux où travaille la cantinière. Elle officie pour le compte d’une résidence où logent des missionnaires d’une congrégation de la Vierge Quelque Chose — j’ai photographié mentalement la plaque à l’entrée pour faire des recherches ensuite. Le jardinier porte un plateau repas. Couverts, serviette à carreaux, coupe de fruits généreusement remplie et soliflore au bout duquel dodeline la tige d’une rose.
Je suppose : qu’il aime les petits plats de la cantinière, préparés sur le compte de la société de restauration qui nourrit matin, midi et soir, nos missionnaires. Une portion de plus ou de moins, ça ne se voit pas. En échange de bons et loyaux services pour la congrégation ou pour la cantinière. Ou plus si affinités.
(1) Cafoutche : terme marseillais désignant un placard, un réduit ou un débarras, en général mal rangé
(2) Baptisé Tokyo par Sabine qui l’a accueilli dans son refuge à la Réunion avant qu’il ne prenne l’avion (Saint-Denis de la Réunion > Paris CDG > Marseille) et n’atterrisse chez ses deux papas.
billet publié sur des fraises et de la tendresse en octobre 2022. Tokyo avait 10 mois
Au cul des cantines il y a masse de trafics (foi d’ex directrice d’école dont le bureau donnait sur le parking)!
La rose me dit que c’est plus qu’un échange de service… Mais cela n’engage que mon esprit romantique (ou mal placé).