Billet publié sur des fraises et de la tendresse en novembre 2011
Mon samedi matin dans le 14e arrondissement de Paris. Soleil. Café. Courses qui attendent depuis les calendes grecques. L’humeur guillerette, je traverse les allées du cimetière Montparnasse. Armé de mon téléphone, je photographie tombes et détails, coin de lumière sur une stèle esseulée. Je n’ai encore trouvé ni la sépulture de Gainsbourg ni celle de Baudelaire. Je connais et j’admire celle où trône un sublime Baiser de Brancusi. Découvre pantois un poisson de deux mètres de long orné d’un sourire, de seins, de la mention : il fait son choix d’anchois et dîne d’une sardine. Le Poisson-sirène. Sculpture en bronze à patine mordorée signée Berdal.
Une douzaine de clichés plus tard, je retourne chez les vivants. Je croise une poissonnière puis un bonimenteur puis des caddies des sacs des baise-en-ville. Marché le long du terre-plein central, boulevard Edgar Quinet. Des cèpes d’Aurillac à 39,80€ le kilo. Une maraîchère chinoise qui, le geste généreux, asperge laitues et passants. Le gars qui chantonne « elle est bonne ma choucroute » me gratifie d’un sourire goguenard.
Et pour achever ma promenade samedinicale, je tape une brève bavette avec l’hôte Autolib’1 qui lit. Un savoureux accent slave accroché à son verbe, il me propose une documentation. Je m’enquiers plutôt de ce qui l’occupe, en attendant le chaland. Il lit La Locandiera de Goldoni.
Le théâtre ou la poésie ne sont jamais où l’on croit qu’ils sont. Ils se logent en une cahute souterraine de la RATP, en un coin de lumière sur un tombeau délaissé, en une goutte d’eau qui loupe sa verte destinataire, en la captivité de quatre arrosoirs en plastique.
1 Autolib était un service public d’autopartage de voitures électriques en libre-service disponible dans l’agglomération parisienne entre 2011 et 2018 (Wikipedia).