Lolo au Ouéplère

J’ai écrit Deux ploucs au Wepler. Voici la version d’Amandine de notre déjeuner :

Chic !
Lolo est sur Paris et nous déjeunons ensemble ce midi. J’ai même droit au grand jeu puisqu’il m’invite au Ouéplère, la brasserie luxueuse jouxtant le cinéma où je vendais du popcorn au temps jadis.
« Il n’y a pas de raison que nous restions toujours du même côté de la vitrine, » me dit-il.
Ah oui, c’est une philosophie à laquelle je n’aurais pas songé.
ça ne devrait pas être dénué d’humour non plus : si j’arbore une apparence à peu près classique, Laurent connaît la punkitude trapue de ma picardinité.

C’est donc avec un grand amusement que je me fais accueillir par une ribambelle de pingouins à la cravate jaune ou rouge selon le grade (sergent serveur ou capitaine maître d’hôtel), avec un respect qui frise l’obséquieux.

Je retrouve Lolo de Bergerac attablé dans la véranda, un verre de Chardonnay à la main, et nous commandons le repas comme un vieux couple. Mine de rien, ça fait 12 ans que nous nous connaissons ; tour à tour voisins, colocataires ou vivant à des centaines de km, nous nous retrouvons avec un plaisir et une complicité sans cesse renouvelés. Cette dernière s’exprime avec une poésie à la Tati (Jacques, pas le magasin) lorsque je vais fumer une cigarette.
Juste de l’autre côté de la vitre, je fais mon pitre semi discret-semi sale gosse en lorgnant le journal machisto-beauf du buveur de café en terrasse.

De retour à l’intérieur, celui que j’appelle mon Ange-gardien a une brève discussion avec un de ces messieurs mangeant un plateau de fruits de mer en solo comme d’autres prennent un jambon-beurre. Je ne dois pas entendre ? Bon d’accord.
Au moment de partir, ledit monsieur va jusqu’à glisser sa carte de visite dans la poche de la laurentesque chemise. Devant mon air intrigué, le chic inconnu m’adresse un « Comme dirait Agatha Christie, le mystère s’épaissit ».
Oui, enfin pas pour bien longtemps puisque sur le chemin du café, of course, un compte-rendu est fait ; nos échanges intra-vitraux ont plu : « Dites, il se passe parfois des choses étonnantes, je vous ai observés, c’est extraordinaire, votre amie et vous… Ne la quittez pas. Ou si vous la quittez… Envoyez-moi un mail. »

C’est vrai qu’en ce moment, j’ai un peu le cerveau qui marche au ralenti mais un truc cloche : tu crois que c’est un plan drague ? Mais c’est pas un peu bizarre de passer par le supposé amoureux d’une femme quand on veut séduire celle-ci, non ?
Qui draguait-il, à ton avis ? Toi ou moi ?

C’est sur cette question laissée en suspens que nous finissons autour d’un petit noir. Une chose est sûre : l’être humain n’a pas fini de nous étonner.


À la mémoire d’Amandine, morte à Saint-Ouen (93) à 34 ans, le 6/11/2014

billet publié sur des fraises et de la tendresse en octobre 2010

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