Je revois Géant (Giant) le film de George Stevens avec Elizabeth Taylor, Rock Hudson, James Dean. Je repasse ces quelques lignes de dialogue qui m’ont interpelé(1). Mais laissez-moi vous planter le décor.
Bick Benedict (Rock Hudson) arrive fraîchement de son lointain Texas pour faire l’acquisition d’un étalon —et s’apprête à tomber sous le charme de la belle amazone (Leslie Lynton jouée par Elizabeth Taylor qui le chevauche, l’étalon, pas l’acteur, du moins pas encore). Lessivé par le long périple en train et par la convoitise de la famille attablée (Bick est propriétaire de 247 000 hectares de terres), pour le dîner, il décline l’invitation au bal voisin et va se coucher. Mais avant cela, sur le porche de l’arrogante bâtisse familiale, du haut de son mètre cinquante-sept, Leslie roule des yeux énamourés sur Bick, un mètre quatre-vint-seize.
Bick est petit joueur, il va se coucher. Leslie en revanche fait la bamboche. De retour du bal, d’humeur guillerette, et dans la nuit étoilée, elle fait danser les fanfreluches de sa robe rose. On l’imagine émoustillée par la rencontre avec le beau Texan. Elle regagne sa chambre et se plonge dans la lecture d’ouvrages sur le Texas (elle n’a pas internet 😉).
Au petit matin, au petit déjeuner, Bick et Leslie se chamaillent. Elle le tanne sur l’acquisition coupable du territoire texan au détriment du pays voisin le Mexique. Il la rabroue. Qu’en sait-elle ? Elle lit des livres, s’est renseignée, elle insiste. Et réplique :
— On dirait que quelqu’un vous a trop gâté. Votre femme ou je ne sais qui…
— Je n’ai pas de femme. Je vis avec ma sœur.
Le nez dans sa jolie tasse en porcelaine, elle anticipe la pique, la question qui la taraude. Elle minaude, elle cherche à savoir si elle a une chance auprès du beau Bick, elle a un caractère bien trempé (pas une potiche ni une plante verte, rôle trop souvent dévoué aux femmes dans le cinéma de l’âge d’or américain, et avant, et même après). Elle darde un regard bleu azur (violet dit la légende) sur Bick-Rock et lance :
— Vous n’êtes pas marié ?
Je rappelle qu’on est en 1956, que l’homosexualité est réprimée, criminalisée, honteuse. Aucune star hollywoodienne gay (ici, Rock Hudson) ne peut vivre librement sa vie au risque de mettre en péril sa carrière. Pas plus tard qu’en 2024, de ce côté-ci de l’Atlantique, Muriel Robin dénonce l’homophobie dans le cinéma français. Bien entendu, un homo peut et doit pouvoir jouer tous les personnages qu’il entend jouer. La seule limite, le talent à nous faire oublier l’homme derrière l’artiste. Bien entendu, on peut ne pas voir dans le dialogue que j’évoque d’allusion à la double vie de Rock Hudson. Je relève pourtant le côté ironique de l’échange, le double langage (on est au cinéma et le cinéma reflète aussi la réalité, l’effacement des gays, lesbiennes de la culture).
Elizabeth Taylor a été une des premières et plus ferventes alliées de la cause gay, a alerté la société, les politiques sur les ravages du Sida et l’abandon des victimes par les institutions. Pour comprendre tous les ressorts du drame vécu par la communauté(2) homosexuelle, je vous conseille chaudement la série bouleversante Fellow Travelers (sur Canal+, Paramount+ et en VOD ailleurs).
Enfin, pour les esprits retors à propos de l’invisibilisation(3) d’un pan entier de la société (encore aujourd’hui, oui oui) il faut lire l’ouvrage de Baptiste Beaulieu.
(1) Il y a pléthore d’anthologies du cinéma, de biographies autorisées ou pas, qui ont très probablement entendu dans ce dialogue une référence à mots couverts à l’homosexualité cachée de la star hollywoodienne. De façon plus générale, les scénaristes américains se sont souvent « amusés » à glisser des indices sur des sujets tabous ou carrément interdits (sur la chasse aux sorcières du maccarthisme, notamment).
(2) Dans son ouvrage Tous les silences ne font pas le même bruit, éd. L’Iconoclaste, Baptiste Beaulieu raconte par le menu pourquoi ce terme de communauté est utile et sensé.
(3) Il donne l’exemple concret d’une invisibilisation à l’écran :
La série américaine Charmed relate sur 8 saisons, 178 épisodes d’une heure chacun, les aventures de trois sœurs dans la ville de San Francisco. Cette série acquerra le statut d’objet télévisuel culte. Pourtant, aucun des 178 épisodes ne comprendra de personnages gays ou lesbiens. Tu réprimes un rire nerveux en écrivant cela, car l’intrigue se passe à San Francisco… (…) LA ville qui a vu l’émergence de la culture LGBT+ (…) Quelle est la probabilité pour que trois jeunes femmes évoluant dans les milieux branchés de la ville ne croisent PAS UNE SEULE personne homosexuelle ? Pas un seul drapeau arc-en-ciel dans les rues, les bars, les restaurants, les boîtes de nuit ? Et ce durant les 178 épisodes ? À San Francisco ! Comment ne pas y voir un processus conscient d’effacement des minorités ?
IWAK : Inktober with a keyboard, EncrOctobre avec un clavier 😉 Le mot du jour IWAK était géant. Demain, c’est navigateur.
Je n’ai jamais regardé Charmed, il semble que j’ai bien fait ^^
J’espère qu’on peut dire qu’on progresse, même s’il reste tant à faire.
Bisous et soutien 💪🔥
Je n’ai pas vu non plus, trop cucul la praline pour moi. Encore que, j’en ai consommées des séries américaines mièvres desquelles on était effacés. Bisous itou 😘
L’histoire de Rock Hudson est tellement tragique, je ne sais pas si tu avais vu le doc HBO de l’année dernière mais c’était vraiment très bien (et parfois très dur). Mais on en aime encore plus notre Liz et son soutien sans faille aux homos toute sa vie, ça c’est de la bonne fille à pédés !!! 😀 😀 😀
J’ai vu une série romancée autour des figures gays connues, série qui avait eu des retours mitigés (j’avais aimé) Hollywood. Le portrait de Rock Hudson exploitait la piste tragédie et de façon pas si romancée (du peu que j’ai lu).
Ouiiiiiiiiiii thank God we had Liz ❤️💛💚💙💜💖💗
Ah ça ne m’avait pas plu à moi justement !!
Oui je me souviens avoir lu ton billet. J’ai trouvé intéressant le parti pris de Ryan Murphy et Ian Brennan. Je n’ai pas tout aimé mais je suis bien rentré dedans.
La vie est bien faite : j’avoue, dans mon billet du jour, n’avoir jamais vu Géant et tu m’en donnes la trame…
Je mourrai moins inculte !
Merci Laurent ! 🙂
Ravi de t’avoir été utile ! Joli digression vers « j’ai envie » sur ton billet 👍
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