— Certains des anciens élèves que je revoie m’appelle madame, me vouvoient, dit Françoise.
On se tutoie, on s’appelle par nos prénoms. Un verre de Graves à la main, on parle, on échange, on se confie, on s’interroge. Sur le cours de nos vies, sur l’état du monde, sur les gens qui baissent le regard dans sa rue pour ne pas répondre à son bonjour. Des fois qu’ils attraperaient la gale ou seraient foudroyés d’un sourire.
Je me revois, élève de collège, encore chevelu et pas encore binoclard, l’appeler maman en classe, rouge de honte. C’est elle qui m’a donné le goût de l’anglais, des films en version originale. On avait appris avec elle les paroles d’une chanson de Sting, on avait décrypté le sens de Russians.
Dans la voiture qui nous conduit chez elle, nous fredonnons elle et moi i don’t subscribe to this point of view, i think the Russians love their children too. Je dis, mon copain, me reprends et dis mon mari. C’est une des rares personnes à m’avoir proposé un cadeau pour notre mariage, spontanément. Ça m’a touché. Elle peint des copies de grands maîtres, avec talent. Pour moi, pour nous, elle s’est frottée pour la première fois aux coups de pinceaux de Van Gogh.
La vie prend des tournants aussi surprenants qu’imprévisibles. C’est ce qui en fait le sel. Et le poivre.
Qui eût cru qu’un jour je me marierais en toute légalité. Qui eût cru qu’un jour je m’en ouvrirais auprès de ma professeur d’anglais d’alors. Qui eût cru qu’un jour je m’installerais à Marseille. Qui eût cru qu’un jour je repartirais de Bordeaux avec une copie très réussie du Champ de blé sous un ciel orageux de Vincent Van Gogh sous le bras.
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