J’étais des quelques 60 000 spectateurs du MDNA World Tour faisant escale au Stade de France le 14 juillet 2012. Quelle déception. Je vous épargne le pourquoi du comment. Je me serais volontiers attardé sur le tiers à sauver du spectacle dont le formidable Like a virgin au dépouillement aussi déconcertant qu’émouvant. Un piano une voix, une version très lente du tube qui l’a vue se trémousser aux MTV Music Awards, en 1984.
Je me suis juré. Jamais plus de concert au Stade de France. Terminé. Basta.
Quel n’est pas mon émoi quand j’apprends l’organisation d’un concert de dernière minute en la salle mythique de l’Olympia. Retrouver un rapport intime avec l’artiste. Me soigner et vite de l’amertume causée par ce concert sans âme. Branle-bas de combat. Clics de souris extatique(s). Deux ou trois coups de fil emplis d’espoir. Et le fameux sésame. Le mail de confirmation de l’Olympia. Suivi en son temps du billet puis du bracelet. L’un sans l’autre point d’accès à la salle.
Le concert a soulevé un vent de critiques. Je les ai lues. J’ai entendu les huées, les insultes adressées à une scène débarrassée trop tôt. J’ai beau essayer, je ne m’explique pas la haine déversée en fin de concert. La déception, oui. La rancœur, l’aigreur, l’animosité, non. Bref.
Je n’ai pas dormi à même le boulevard des Capucines. Je n’ai pas traversé le pays. Je n’ai pas déboursé 275€ pour une place assise aux côtés des VIP en mezzanine. J’ai certes cassé ma tirelire, 89€ pour voir des mes yeux vu (de tout près) l’artiste qui a rythmé mon adolescence, rempli mes yeux d’étoiles, qui m’a parfois déçu (la production d’un artiste n’est ni un long fleuve tranquille ni une accumulation de chefs-d’œuvre), qui m’a follement amusé, parfois bouleversé.
J’ai surtout vécu une expérience incroyable. Exit le stress. J’étais là pour un moment de folie partagée. D’extraordinaire insouciance. Conversations à bâtons rompus. Autour du même et seul sujet. Madonna. Je m’approchais de gens qui évoquaient d’autres choses, qui n’avaient pas l’hystérie chevillée au corps. J’avais entendu la rumeur. Le show durerait à peine une heure. Qu’à cela ne tienne. J’en aurais pour mon argent. Je profiterais de chaque seconde. À l’instar des premières minutes où le plancher de l’Olympia se soulevait sous les spectateurs (dont moi) qui bondissaient, chantaient, exultaient (vidéo en fin de billet).
Comment ne pas m’identifier au gamin qui s’est assis à côté de moi sur un bout de trottoir gorgé de soleil, boulevard des Capucines. Sa mère nous le confiait avant de s’en retourner en banlieue. Ma mère m’accompagnait à Paris en juillet 1990 et restait à l’hôtel pendant que le gamin de 17 ans que j’étais faisait son premier concert, voyait de loin (à Bercy) son idole. L’expédition. Convaincre mes parents de me laisser vivre un rêve. Et monter à Paris pour un soir. Depuis le fin fond de mon Périgord natal.
À 13 heures, un vigile m’inscrivait au marqueur indélébile un numéro sur le revers de la main. Le numéro 222. Cela s’annonçait très compliqué. De discipliner 2 700 personnes. D’expliquer qu’il y avait un ordre. Ambiance bon enfant. Des bouteilles d’eau, des barres céréales, des magazines, circulaient. Mouvements de foule. Perplexité mêlée d’amusement, d’agacement des passants, des touristes, des commerçants. L’excitation ne faiblissait pas. Les comparaisons bêtes entre telle et telle artiste. Aussi futiles que bisbilles de bacs à sable. Les t-shirts plus ou moins fraîchement sortis des placards. Le bas résille chez l’une, la perruque blond platine chez l’autre.
J’avais de nouveau 17 ans. Et pas davantage quand le concert a commencé. On exulte, on chante, on danse. On touche du doigt la star. À plusieurs reprises, on cueille chez elle des sourires sincères. Mon impression, certes. Mais à quelques mètres de la scène, je sais reconnaître le plaisir, le sourire, la sincérité. Même chez Madonna. Concert trop court, hélas, mille fois hélas. 48 minutes, interludes et speech inclus. Trop trop court. Je n’ai pas laissé les trahis, les désenchantés, gâcher mon plaisir. Je crois au JE T’AIME assorti d’un cœur inscrit en fond de scène en guise de clôture. C’est un au revoir comme un autre, non ? Je t’aime, moi non plus de Gainsbourg revisité, chanté en français, c’est un cadeau que d’aucuns ont visiblement peu goûté. Les huées, les insultes, je les ai ignorées. Je suis parti. J’ai partagé avec de beaux garçons, bruxellois et suisses, deux ou trois (ou quatre) bières à la brasserie d’en face. Commentant le ballet des poids-lourds, ceux emportant le spectacle de Madonna et ceux livrant le show suivant, ZZ TOP le lendemain. Le boulevard désert. Le trottoir où des centaines de fans transis ont laissé déchets et anecdotes, soupirs impatients et transpiration, excitation, était rendu à la nuit chaude et anonyme.
Place de l’Opéra. Deux heures du matin. Aux badauds attendant un taxi, nous demandons le numéro qui dégouline sur leur poignet. Rires. Et nous nous prenons dans les bras, le cœur dilaté par le sentiment d’avoir vécu un moment unique. Extraordinaire.
Setlist :
Turn up the Radio
Open Your Heart
Masterpiece
Justify my Love (Interlude)
Vogue
Candy Shop
Human Nature
Die Another Day/Beautiful Killer
Je t’aime… Moi non plus
MAJ. À propos des huées à la fin, je m’étonne encore aujourd’hui de la capacité qu’ont les gens de porter aux nues un artiste puis de lui cracher ensuite dessus parce qu’il n’a pas donné ce qu’ils attendaient. Mon humble avis. J’ai beaucoup lu à propos de cette soirée exceptionnelle : c’était un cadeau de Madonna à Paris, à ses fans français.
Note du 24/11/2024 : ce billet vu 26 642 fois (mon billet le plus lu à ce jour, y compris par les bots) avait fatalement sa place dans mon nouvel espace. Mon intérêt, ma fidélité, pour la star n’ont pas faibli. J’ai entre les mains un objet collector et produit en dehors du circuit officiel : le blu-ray en 4K de son show monumental à Rio l’été dernier pour ses 40 ans de carrière, devant 1 million et demi de spectateurs. Et quelques billets (à (re)venir) racontant par la bande mon séjour parisien en novembre 2023, une petite semaine et une soirée à Bercy.
billet publié sur des fraises et de la tendresse en juillet 2012