Mon chemin, ce matin, devait se faire à pied. Vingt minutes pour me rendre à la grande enseigne de bricolage, boulevard Sébastopol. J’ai finalement opté pour le vélo en libre-service qui me tendait le guidon en bas de la rue. Ce furent dix minutes barbe au vent et bon d’achat dans la poche de mon blouson.
Je dis bonjour à Amélia qui tient l’accueil de ce magasin que je visite régulièrement depuis mon installation à Marseille. J’ai tout de suite accroché avec elle. Professionnelle, rapide, efficace et aimable mais sans jamais une once de mièvrerie. Elle est d’un calme et d’une douceur qui tranchent avec sa célérité. Remarquez, l’un ne va pas nécessairement sans l’autre, et Amélia en est la preuve vivante. Avec toujours un trait d’esprit ou un mot gentil.
Fourrageant dans mes poches de blouson, de pantalon, je cherche le bon d’achat que j’étais venu dépenser. En vain. Je me souviens de ma main sur ce bout de papier dans une poche que, bêtement, je n’avais pas zippée. Autant en emporte le vent.
Je tente ma chance auprès d’Amélia qui est débordée et lui demande : « Avec ma carte de fidélité, vous n’avez pas moyen de le réimprimer ? » Une grimace signifiant « J’aimerais bien mais je ne peux pas » déforme son visage. Las, je me dis tant pis pour moi, je n’avais qu’à faire attention. Je lui tends mes achats. C’est un accueil qui fait office de caisse. Elle scanne les articles, répond au téléphone, appelle au micro Jean-Christophe du rayon bidule à rejoindre son rayon bidule, demande à Olivier passant par là « d’arroser s’il te plaît les plantes qui font peine à voir.
— Et si ça ne me plaît pas ?
— Eh bien tu le fais quand même », lui rétorque-t-elle tout en farfouillant dans son ordinateur.
J’ai compris qu’elle avait décidé d’enfiler son habit de magicienne pour faire réapparaître mon bon d’achat disparu. Amélia continue d’agiter ses dix bras pour satisfaire le maximum de clients. Elle dit non fermement mais avec pédagogie. Elle dit oui avec plaisir bonne journée madame. Elle rappelle Jean-Christophe qui est toujours attendu au rayon bidule.
Puis elle finit par sortir de son chapeau de prestidigitatrice le coupon valable pour onze euros que le vent m’avait raflé. Elle m’adresse un sourire énigmatique, candide et me dit posément : « Je n’ai rien fait, ok ? » Je la remercie discrètement d’un clin d’œil.
En rentrant, à pied cette fois-ci, parcourant le kilomètre et demi séparant la grande enseigne de mon domicile, sans follement chercher, j’ai remis la main sur le fameux bon d’achat portant nom et prénom de votre serviteur qui avait échu sur un coin de trottoir.
La prochaine fois, j’offrirai une boîte de bonbons à Amélia. Ou cette chronique. Ou les deux.
Billet extrait de Une nonnette au miel des petites choses. Également paru dans Ebdo n°10 du 16 mars 2018. L’hebdo n’a hélas pas survécu à la tempête médiatique qu’elle a provoquée en mettant à sa une l’affaire Nicolas Hulot. N’avait pas les épaules assez solides pour résister aux attaques des défenseurs de Hulot, Marlène Schiappa en tête.
Màj 11/2017 : Je n’avais pas prévu de proposer à Amélia la lecture du billet. Je craignais d’empiéter, de surprendre et décevoir. J’improvise. Elle est débordée mais toujours professionnelle et cordiale. Dans la file qui mène à son comptoir, j’ai derrière moi quatre ou cinq clients qui trépignent d’impatience. Mon tour venu, je dis bonjour comment allez-vous ? Elle répond ça va bien merci; comme vous le constatez, comme d’habitude, rien ne fonctionne. Je parle à voix basse : j’ai écrit une petite chronique où vous apparaissez. Je peux vous l’envoyer par mail ? Un immense sourire illumine son visage. Elle ne sait comment me remercier, se dit très touchée, elle a hâte de lire ça.
Ellipse.
Amélia a lu le billet et m’a laissé ce message :
Laurent bonsoir,
Je vous remercie pour tout ce que vous avez si bien dit. Je suis flattée et aussi touchée par cette attention toute particulière que vous m’accordez dans votre blog.
Je suis toujours soucieuse du travail bien fait et là, je me dis que ce n’est pas vain. Mille mercis et au plaisir de vous revoir.
Amélia
Thierry, collègue d’Amélia, a écrit :
Bravo, je viens de lire le clin d’œil sur Amélia et c’est très juste. Je suis au même magasin et c’est un livre complet d’anecdotes que vous pourriez réaliser sur notre clientèle. Il y a de quoi se régaler ou partir en dépression tous les jours. J’adore ce clin d’œil, merci, ça fait du bien !
Cordialement,
Thierry
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