La gentillesse des inconnus

Shark team — équipe requin (j’étais à bord de cette embarcation en mai 2009)

Perplexe pour ne pas dire sidéré de voir Donald le dégénéré détricoter scrupuleusement l’État de droit et redessiner l’ordre mondial à grands traits illibéraux et opportunistes, atterré par la haine décomplexée dans notre pays, la débandade politique, je cherche la consolation en vrac dans l’immersion d’un roman ou d’un film, la contemplation de l’abeille qui se repaît de giroflées, un dîner avec une amie, les rires partagés avec mon mec, les articles de presse qui racontent ici ou là la réparation du monde ou les choses qui vont bien. Je lis aussi très régulièrement tout ce qui va mal, j’ouvre les yeux.

Je songe aussi à la gentillesse des inconnus.

Triant plusieurs milliers de photos, je tombe sur celle qui illustre ce billet et tant d’autres. Des clichés qui convoquent deux souvenirs. Le premier à Paris quand je travaillais dans l’hôtellerie :

* Quand Richard arrive et me reconnaît, il exprime sa joie de me voir au même poste. Un an plus tôt, je l’aidais à récupérer sa valise, lourde comme un âne mort. Un rictus de douleur me traverse de part en part. Je fais mine de rien. Il ne saura jamais que sa valise, ou plutôt mon imprudence, a causé six mois de tracas, une entorse grave du poignet droit, fracture du scaphoïde et rupture de ligaments, nécessitant pléthore de consultations, hospitalisation, opération, rééducation et tout le tremblement. Je l’accueille avec la chaleur que je m’efforce d’offrir à chaque client. Il gagne sa chambre. Je le revois le lendemain. Designer et commercial de sa propre marque, il m’offre un cadeau et toujours un mot gentil. Je considère soudain l’incroyable ironie de la situation. Son cadeau est en quelque sorte une très jolie et inconsciente réparation des dommages. 

Le deuxième souvenir en Afrique du Sud :

* L’inconnu qui m’offre une épaule amicale dans un moment difficile. Sans le sou, perdu dans un un village de pêcheurs à deux heures de route du Cap en Afrique du Sud, je fais la rencontre de Sébastien. C’est un voisin de tablée du restaurant que tient la famille de l’ami qui m’héberge. Je lui livre mon histoire, sans filtre. Il m’invite à aller voir les requins avec lui, au large alors que le soleil ne s’est pas encore levé, le lendemain. Le jour de son départ, il me tend une liasse de rands et sans chichi, me dit adieu et bonne chance.


📷 voici 12 photos de mon expédition au large de Gansbaai, je n’ai pas de photo du requin vu de très très près ce jour-là mais le souvenir reste vif !


Commentaires

  1. Le gentillesse, au final, c’est tout c’qu’il nous reste…
    Mais diiiiis, j’suis curieuse, c’était quoi le cadeau ?

    • Ce sont des pochettes zippées de différentes tailles et avec design sympa + un boudin-oreiller pour le voyage (sais pas comment on appelle ça, le truc que tu mets derrière la nuque) il se scratche pour pas bouger et tu ouvres le zip, y a une écharpe ou fine couverture en polaire 🙂

      • Orpheus

        Sympaaaa !
        (Curiosité satisfaite, merci ☺️)

  2. Et on voit les requins à l’œil nu depuis le bord comme ça ? (Me dis pas que tu es allé faire coucou dans l’eau. ^^’) Des grands blancs en plus, ça doit être ouuuuuuf !!!

    • On était une petite huitaine de personnes en combinaison et masque. Une cage métallique aux barreaux de laquelle on pouvait s’accrocher. Lorsque les requins (je n’en ai vu qu’un mais de très très près et oui à l’œil nu) on s’immergeait pour mieux voir approcher le requin. Je m’en rappelle encore. Dans le groupe, y en avait un qui nageait en dehors de la cage o_O

  3. Je me serais fait pipi dessus !!! (Au moins ça réchauffe. ^^’) Nan mais JAMAIS je ne serais allé dans la flotte !!!!!!!

    • Je me souviens avoir dit à Sébastien : JAMAIS je n’aurais fait ça alors ok, je te suis, faisons-le !
      Je viens d’ajouter un lien dans le billet avec quelques photos (sans requin)

      • Et donc ça fait tout de même très très peur non ? Mais grisant au fond ou juste terrorisant pour toi ?

        • Je dirais grisant. Le souvenir d’être dans une expérience inédite (jamais je n’y aurais pensé si je n’avais pas croisé la route de celui qui me l’a proposé), d’aller en mer au petit matin, d’être au plus près d’un animal sauvage craint par tous mais dans des conditions sécurisées. Pas une fois je n’ai pensé aux films de requins où les barreaux de la cage auraient pu se disloquer 😱 je me souviens, j’étais en confiance mais en même temps conscient de vivre un moment exaltant.

  4. Petit louis

    Je pense que je vire tendance Gandhi, mais effectivement la gentillesse semble le dernier rempart face à cette haine qui déferle sur la communication des gens dernièrement. C’est ce qui va différencier d’ici peu les humains des robots bavant de détestation.

Répondre à Orpheus Annuler la réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

39 − 32 =
Powered by MathCaptcha