Une année de chien

Tous les ans, je m’efforce d’envoyer un coucou à Sabine. Un coucou et une photo, celle-ci en l’occurrence. Elle qui a sauvé notre Tokyo national. Elle l’a sauvé puis recueilli et couvert d’affection chez elle à la Réunion, parmi d’autres boules de poils. Avant qu’il n’atterrisse en métropole, Sabine nous envoyait photos et vidéos craquantes de la cohabitation, des jeux dans le jardin, des repas généreux. S’il est aujourd’hui encore un peu craintif c’est probablement parce qu’il a vécu les premières semaines de sa vie, terrorisé sous un tas de ferraille, avant qu’elle ne le prenne sous son aile. C’est en mars 2022 qu’il a pris l’avion, deux avions, même : le premier de la Réunion jusqu’à Paris Charles-de-Gaulle, le deuxième jusqu’à Marignane. J’ai encore le souvenir très frais de sa rencontre : le coffre de la voiture de la responsable de l’association qui fait le lien entre la Réunion et les adoptants autour de Marseille s’ouvrant sur ce bout de chou tête à bisous de quelques kilos (il en fait aujourd’hui vingt). Il a vite trouvé nos bras accueillants.

Il a fêté ses trois ans à Noël, il y a une petite semaine. Il a beaucoup de caractère, adore jouer, nous fait craquer quand il se plante devant nous et nous dévisage. Dans son regard, on est censés lire ses suppliques : vous déconnez ou quoi c’est l’heure de mes croquettes ! Ou : vous avez largement dépassé l’heure de me sortir.

Il a beaucoup de fans dans le quartier. Les animaux créent du lien entre les humains, notre amitié avec Simone en est++++————————————————————————————————— oops, lové contre moi sur le canapé, il vient de poser sa tête sur le pavé numérique du PC, d’où la ligne de ++++ puis de ——- (ligne que je laisse pour signifier la co-écriture de ce billet). Où en étais-je ? Notre amitié avec Simone en est la preuve. De tout le quartier, de nos voisins, de nos amis, elle est la seule à provoquer chez lui tant de joie, tant d’effusion, à chaque fois. Ils se sont croisés sur un trottoir il y a plus de deux ans et se sont aimés d’un amour platonique et fusionnel. Les humains au bout de la laisse n’ont eu d’autre choix que de faire connaissance. Puis de papoter, de prendre des nouvelles, de s’inviter à l’apéro, à dîner, à échanger sur le monde tel qu’il va. Il lui fait des fêtes comme il n’en fait à personne, même pas à nous, c’est dire le caractère étonnant, unique, du bonhomme. Comme les humains, il a ses têtes. Son ennemi juré, un chien habitant au 3e étage. Ne jamais le croiser ! Il lui voue une haine inexpliquée. Et c’est réciproque. Et la vieille voisine revêche (et raciste) que l’on surnomme la Murène. À la faveur d’une cohabitation furtive dans l’ascenseur, elle dit à mon mari :

— Je pense que votre chien ne m’aime pas beaucoup.

Mon mec lui envoie dans le dentier : 

— Je ne pense pas, j’en suis sûr. 

— … (silence gêné de la Murène)

— Bonne journée !