La dame au balcon

Les réflexes en cas d’urgence ne sont pas les mêmes pour tous, ne sont pas follement adéquats parfois. Concernant le récit que je m’apprête à vous faire, l’urgence est relative. Contexte : mon mec et moi regardons un film d’horreur, Évanouis⁽¹⁾. Le titre original, Weapons (Armes). Les distributeurs français ont la sale manie de mal traduire ou adapter avec les pieds les titres de films américains mais c’est un autre sujet. Il est environ 18 heures. Nous sommes dans la pénombre du salon et du film. Le principal de l’école fait comme l’oiseau, les parents du petit Alex se donnent de généreux coups de fourchette dans le visage. Nous entendons des coups répétés sur ce qui paraît être une barre de fer, de la plomberie. Ça ne provient pas du film. Je dis à ma moitié : quelqu’un qui tombe et ne peut se relever, ne peut atteindre son téléphone, va alerter en tapant sur la tuyauterie. Alors que le bruit a cessé et que je fais le tour du pâté d’immeubles avec le chien pour son pipi de 18 heures, mon mec descend chez Yolande (nous avons un double de ses clés), il ouvre, personne, ça n’est pas elle qui est en difficulté. Tokyo et moi sommes revenus au pied de l’immeuble. Des gens sont attroupés. Ils pointent du doigt une silhouette qui s’époumone depuis son balcon au 8e étage. Je comprends que la dame est coincée et ne peut rentrer chez elle (où se trouvent clés et téléphone), la poignée tourne dans le vide. C’est elle qui a tapé sur le garde-corps pour demander de l’aide. Trois jeunes femmes communiquent avec elle (les hommes se sont contentés de jouer les concierges, mais qui quoi comment…) Elles ont réussi, je ne sais comment, à envoyer un message au fils de l’infortunée. Il a un double de ses clés mais ne répond pas. De la rue, je crie bêtement : je ne t’entends pas. Nouille que je suis, je pourrais communiquer avec elle du balcon du dessous puisqu’un seul étage nous sépare. Mais je crie avec celles qui cherchent à l’aider. Joëlle, amie et voisine, a un meilleur réflexe et lui propose, de l’étage inférieur, une veste, un pull, un manteau pour qu’elle se réchauffe. Le chien me suit, placide, côté impasse de la résidence, pour sonner chez le fils qui habite au 7a ou 7b ou 7c, je ne sais plus. S’il ne répond pas au téléphone, il peut répondre à l’interphone, s’il est là. Arrivé au 7c, je réalise que je ne peux pas déchiffrer les noms sur les sonnettes. Je n’ai pas mes lunettes. Sylvie et Eric habitent au rez-de-chaussée. Je me faufile derrière l’immense laurier qui les protège des indiscrets. Je toque au carreau. Ils visionnent peut-être eux aussi un film d’horreur et sursautent. Je leur fais signe de venir à ma rencontre dans le hall. Sylvie m’accueille en chaussettes. Je n’ai pas le temps d’expliquer les tenants et les aboutissants de l’urgence (relative). J’expliquerai plus tard par SMS et m’excuserai de les avoir dérangés. Je dis à Sylvie, perplexe : prête-moi tes lunettes. Et je la laisse en plan, en chaussettes. Je m’en vais déchiffrer les sonnettes des bâtiments 7a, 7b, 7c. En vain. Je ne trouve pas le nom du fils de la dame au balcon. Je rends les lunettes à Sylvie et retourne au pied de l’immeuble côté boulevard.

Épilogue. Je vous épargne encore quelques pages de détails. Les pompiers sont venus assez vite à l’initiative des jeunes femmes. Ils ont réussi à débloquer la poignée de la baie vitrée. La dame a pu regagner ses pénates. Nous avons repris le cours du film d’horreur. J’ai envoyé un SMS à Sylvie pour lui faire un résumé et la remercier pour les lunettes : tu connais Mister Magoo ? bah c’est moi. Ce qu’elle ne sait pas, c’est que j’avais mes lunettes dans la poche de mon blouson. Nouille un jour, nouille toujours.

⁽¹⁾ Très bonne surprise que ce film écrit et réalisé par Zack Cregger. Jamais déçu par Julia Garner (découverte dans la série Ozark où elle est exceptionnelle). Fans du genre, surveillez vos plateformes car le film n’est pour le moment qu’en VOD.