Claudette au Kazakhstan


Illustration : hĂ©sitation. J’hĂ©site entre jouer avec la chienne et achever mon bouquet, entre l’Ă©tĂ© (mon bermuda) et l’automne (les tempĂ©ratures en Charente ne sont pas celles des Bouches-du-RhĂŽne). Je cueille une rose jaune puis une rose rose. Je les enveloppe de sopalin humide pour qu’elles tiennent le voyage. Je prends un couteau pour trancher dans le sens de la largeur une petite bouteille de plastique et improvise un vase pour le transport. Dans le panier en osier, cĂŽtĂ© passager, j’enlĂšve quelques pommes pour caler le bouquet que je destine Ă  ma mĂšre. 

À l’ehpad, dans une chambre plutĂŽt cosy, dĂ©corĂ©e sommairement mais joliment, ma mĂšre compte le nombre de mailles que compte un rang, 40. Et passe au rang suivant d’une chaussette qu’elle crochĂšte. On papote, elle se confie, s’inquiĂšte de me voir prendre la route pour Marseille le lendemain, je la rassure. 

Chez elle, c’est dans le reflet des vitres du vaisselier qu’elle regardait la tĂ©lĂ©. C’Ă©tait pas une lubie, juste pratique lorsqu’elle Ă©tait Ă  table prĂšs du poĂȘle Ă  bois. Ici, assise dans son lit, elle est concentrĂ©e sur un Ă©pisode de Trains pas comme les autres, au Kazakhstan, dans le reflet qu’offre le grand miroir accrochĂ© au mur lui faisant face. Une guĂ©risseuse frappe le prĂ©sentateur avec un poumon de mouton fraĂźchement Ă©viscĂ©rĂ©. Puis elle lui crache Ă  la figure pour le bĂ©nir et nous fait rigoler ma mĂšre et moi.

Nous prenons l’air et le soleil sur un banc Ă  l’extĂ©rieur. Elle et ses mots mĂȘlĂ©s, moi et ma lecture. On appelle mon mec. Il l’interroge sur sa chatte qui a Ă©lu domicile chez ma sƓur. Allez savoir pourquoi je pense Ă  la comĂ©die loufoque de Laurent Lafitte, L’origine du monde. Ma mĂšre saisit la dĂ©viation inattendue qu’a pris mon esprit mal tournĂ© et nous voilĂ  tous les trois partis dans un fou rire irrĂ©pressible, on en pleure. 

Dans le rĂ©fectoire, le personnel pousse le volume de You’re the one that I want de Grease. Ça change de Chez Laurette de Michel Delpech ou Salade de fruits de Bourvil. Et Ă  propos de fruits, j’ai apportĂ© des pĂȘches de vigne et des figues du jardin de ma sƓur. Que ma mĂšre loge dans un tiroir en cas de fringale. 

Un rĂ©sident s’invite dans la chambre de ma mĂšre, il est souvent perdu et ma mĂšre l’Ă©conduit gentiment. Il voulait nous avertir de la tempĂȘte, la grosse, trĂšs trĂšs grosse tempĂȘte qu’ils annoncent. En RĂ©publique tchĂšque, plutĂŽt. Il insiste pourtant. Ça part d’un bon sentiment, on le remercie. 

Il est l’heure pour moi de partir. Je lui rappelle que passe Ă  21h l’Ă©mission grĂące Ă  laquelle nous rirons le lendemain. Murielle s’est installĂ©e chez Pascal, Ă©leveur de vaches dans les Deux-SĂšvres. Rien ne trouve grĂące aux yeux calculateurs de la prĂ©tendante : elle ne veut pas des haricots verts qu’il comptait lui cuisiner, ni de cafĂ©, ni d’eau pĂ©tillante, ni de sirop de pĂȘche, ça lui gratte le palais, la pĂȘche, il faut des patins sous les chaises, des rideaux aux fenĂȘtres, changer ce canapĂ© hideux et dĂ©gager les branches de lilas qu’il a cueillies pour elle car elles puent et lui donnent mal au cerveau. Le boulet. 

Je n’ai pas trouvĂ© de fin ou de pirouette Ă  ce billet biscornu. Ou plutĂŽt, la fin s’il en faut une, c’est que ma mĂšre va beaucoup mieux. 



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